vendredi 8 janvier 2010

Interview MUDHONEY - Paris, 12 octobre 2009

Version longue de l'interview à paraître dans ABUS DANGEREUX n° 112
Photos par Louise Dehaye


GRUNGE-OSAURUS REX




Plus de 20 ans au compteur, et Mudhoney a toujours cette rage juvénile underground. Quand Nirvana et Alice in Chains ont été mis au chômage nécrologique, là où Pearl Jam et Soundgarden se sont embourgeoisés, personne mieux que Mudhoney n’a su garder l’esprit originel du grunge. A l’encontre de la logique du music business qui consiste à signer un contrat, vendre des disques et en vivre, Mudhoney n’a rien fait comme les autres et vit sa carrière comme le ferait un groupe de teenagers dans sa cave.


Mark Arm. Eternel adolescent, rigolard, à l’attitude oscillant sans cesse entre le pur nerd musical foncièrement loser et la légende vivante de l’underground US à la simplicité déroutante. Avant un concert incandescent au Trabendo (Paris), nous avons pu revenir avec lui sur ces dernières années très riches : Sa participation à la tournée de reformation avec MC5, les 20 ans de Sub Pop pour lesquels Green River a donné son premier concert en autant d’années et un dernier album (The Lucky Ones) qui sonne comme un retour aux sources.


Guy Maddison (bassiste) se joindra à l’interview le temps d’avaler un camembert entier. «French cuisine».





On dit que le dernier album, « the Lucky ones », a été enregistré et mixé en trois jours et demi …


Non, non, ça n’a pas été mixé en trois jours et demi, c’est seulement l’enregistrement.


Ah bon, une légende urbaine !


Non, je sais que c’est ce qui est marqué dans le disque, mais on a enregistré en trois jours et demi et on a mixé un mois plus tard, en cinq jours, un truc comme ça.


Sur cet album, tu ne joues pas de guitare. C’est temporaire ? Ca a quelque chose à voir avec ton expérience sur la tournée du MC5, où tu assurais le chant seulement ?


En fait, oui, c’est là que ça a commencé en quelque sorte. En 2004, on est passés à Seattle, et Dan (Peters, batterie) en particulier était du genre « tu sais, on devrait peut-être faire quelques chansons où tu ne joues pas de guitare ». J’imagine qu’il a apprécié de me voir sauter partout.


Et Steve (Turner, guitare) voulait les guitares pour lui tout seul.


Non, non, rien de ce style. Mais le disque qu’on a fait après la tournée du MC5, ça a été « Under a Billion Suns ». Il y avait plutôt plus de choses sur ce disque, et pas moins, comme sur celui-ci. D’habitude, quand on écrit une chanson, quelqu’un amène un riff de guitare ou deux, et on jamme à partir de cette base, on essaie d’en faire quelque chose. Et là, on a décidé d’essayer la recette qu’on utilisait à l’époque de Green River, où je ne jouais pas de guitare. On fait tourner la musique et je chante par-dessus, en essayant de mettre en place le chant, et peut-être même trouver quelques paroles à chaud. La plupart du temps, les paroles ne prennent pas vraiment forme, mais tu sors avec une phrase ou deux, et tu peux partir de là pour commencer le processus d’écriture.


C’était un moyen de revenir à plus de spontanéité, comme dans Green River ?


Dans un sens, oui. Même si quand j’étais dans Green River, j’avais un cahier où je notais pleins d’idées de paroles ou de sujets pour les chansons. Je n’ai plus ça aujourd’hui.



C’était comme un retour à une façon d’enregistrer très directe et punk ? Un retour à l’époque de Superfuzz Bigmuff, où vous aviez enregistré avec Jack Endino, le parrain du grunge ?


C’est sûr que comparé à « Under a Billion Suns » et « Since We’ve Become Translucent » … Il n’y a pas de cuivres sur celui-là par exemple. Quelques touches de synthé, mais très peu. C’est un disque très brut.


(Guy Maddison, basse, fait irruption)


Il y a toujours une alternance entre les racines psychédéliques de Mudhoney et son versant le plus punk et abrupt…


Ce sont deux de mes musiques préférées, la musique psychédélique et le punk rock. Pas mal de gens semblent penser que ce sont deux mouvements à l’opposé, mais on essaie souvent de voir comment on peut mélanger tout ça.


Vous faîtes un peu à la Neil Young, qui alternait un album rock et un album folk.


Oui, mais dans notre cas, ce serait plutôt deux psychés et deux punks, et psyché à nouveau.


Ce n’est pas la définition de Mudhoney finalement, de ne jamais avoir choisi entre les deux ?


C’est sûr. Mais ça n’a jamais été un choix délibéré. On n’a jamais rédigé de manifeste pour définir ce qu’on faisait.


Personne ne penserait aujourd’hui au mot « grunge » pour décrire la musique de Mudhoney. C’est le signe que tout le mouvement était une blague finalement ?


Dans un sens, je suis d’accord avec ce que tu dis, mais … Je fais pas mal d’interviews où on me pose tout le temps des questions sur le son grunge et tout le mouvement de l’époque. Dans l’esprit des gens, on est intimement liés à tout ça. Mais bon, je ne sais pas vraiment ce que tout ça signifie. Si on disait « scène de Seattle », ça c’est quelque chose à quoi je me sens rattaché. C’est ce qu’on est, un groupe de Seattle, comme Tad, comme Nirvana, comme les Screaming Trees, Pearl Jam, Soundgarden. Le nord-ouest, la côte du Pacifique. Ok. Mais le « grunge » … Je ne suis même pas certain de savoir où ça a commencé et où ça a fini. Au début, c’était un mot que Bruce Pavitt (moitié du label Sub Pop) utilisait pour décrire Green River. C’était le terme utilisé à l’époque dans une pub stupide pour un karcher, pour se débarrasser des trucs qui s’accumulent sur les toits ou les murs. Grunge, c’était juste une autre façon de dire … disons une manière plus fantaisiste de dire « crasse ».


G : Oui. De la même façon que « punk » était un mot avant le punk rock. Ca avait une connotation très négative, alors ils l’ont collé à une musique qui sonnait de façon négative. Aucun des groupes du grunge ne sonnait de la même façon. Il n’y avait pas de son définitif, auquel il fallait se plier pour faire partie du mouvement. Comme dans le punk. Les Stranglers ne pouvaient pas être plus différents du Clash, qui ne pouvaient pas être plus différents des Dead Kennedys.


Un état d’esprit commun peut-être.


G : Ouais. Le grunge est davantage un état d’esprit.


M : Mais bon, tu peux dire que le punk, c’est 1977, c’est aussi 76, 78. C’était comme quelque chose qui apparaissait en même temps dans le monde entier. Les Saints et Radio Birdman ont commencé en 1974 en Australie. T’as Père Ubu en 1974, Television et les Ramones, 1974, aux Etats-Unis. En suivant, les Damned et les Sex Pistols en Angleterre. C’est quelque chose qui est arrivé simultanément dans différentes parties du globe. C’était une réaction aux médias toujours plus mainstream dont on gavait les gamins à l’époque. En 1974, les médias étaient beaucoup plus oppressants. Il n’y avait pas mille façons d’écouter de la musique ou de découvrir des groupes. Quelques stations de radio, quelques chaînes de télé. Ce qu’ils choisissaient de diffuser dictait ce que tu écoutais, finalement. Avec le grunge, enfin la scène de Seattle, c’était juste des gens qui essayaient de tromper l’ennui dans un coin paumé. Des trucs identiques sont arrivés partout dans le monde, et pas seulement aux Etats-Unis. Comme le punk justement. Ce n’était rien de très neuf en fait.


C’était des groupes dans la même ville au même moment.


G : Il y a eu des mouvements similaires à celui de Seattle. Ils ne sonnaient pas forcément de la même manière, mais étaient générés par les mêmes facteurs, et ont abouti car les groupes s’influencent réciproquement dans une même ville. En Angleterre par exemple.


Comme ça a pu être le cas à Manchester.


G : Ouais voilà.


M : Ce sont juste des gens qui voulaient être dans des groupes et se marrer un peu, parce qu’ils vivent dans un coin sordide. Nous, on essayait simplement de s’occuper et d’occuper nos potes. Ce n’était pas vraiment un mouvement.


G : Et puis c’était une époque où on était coincés entre de la musique synthétique et une flopée de groupes de heavy metal.


Vous avez tous un job à côté de Mudhoney. C’est un moyen de se sentir libre de créer sa musique sans se poser des questions relatives aux ventes, aux contrats ou tout ce qui préoccupe habituellement les majors aujourd’hui ?


G : Tu parles, c’est surtout un moyen de payer le prêt de la maison.


M : Oui oui, c’est surtout un moyen de vivre une vie très classique.


G : Merci, au revoir ! (en français)


M : Quelque part, tu peux voir les choses sous cet angle. Etre dans un groupe, c’est un genre de hobby magnifié qui paye un peu. On pourrait se retrouver pour jouer aux cartes entre potes, ou au parc avec les gamins, tous ces trucs de mecs qui se retrouvent pour faire des trucs de mecs. Nous, on se retrouve et on est dans un groupe, on écrit des chansons, on part en tournée.


En d’autres termes, vous avez enregistré cet album en trois jours et demi et il sonne très abrupt. Vous auriez pu faire la même chose si vous aviez la pression d’une maison de disques sur vos finances ?


Tu sais, la façon dont ce disque a été enregistré est assez drôle. En fait, on avait réservé deux longs week-ends de studio. On avait déjà 11 chansons prêtes à être enregistrées, et on se disait qu’on pourrait mettre sur bande 7 chansons, si tout allait bien, lors de la première session, et on finirait le reste pendant la seconde, un mois plus tard. Et tout s’est déroulé si vite et si naturellement qu’on a tout fini en un seul week-end. A la fin, on s’est regardés et on s’est dit que c’était bien comme ça. C’était comme un signe. Qu’est-ce qu’on pouvait faire de plus ? Ecrire peut-être une nouvelle chanson ou deux entre-temps et l’enregistrer la prochaine fois ? On a finalement décidé de profiter de ce truc instinctif et on a annulé la deuxième session.


Tu te considères plutôt comme un guitariste qui, un jour, a dit aux autres « ok, les mecs, je peux chanter » ou un chanteur qui peut gérer la deuxième guitare ?


En fait… je ne me considère comme aucun des deux. Quand j’ai commencé à jouer de la musique, j’étais dans un groupe avec des potes du lycée. Ca s’appelait Mr. Epp. Le batteur et le bassiste étaient deux frères, et Smitty et moi, on a partagé l’argent du groupe pour dégoter un ampli bon marché et une guitare. On alternait. J’ai fini par jouer davantage que lui, mais ce n’était pas du genre permanent. Quand on s’est séparés, le matériel du groupe était à droite à gauche, et quand Steve et moi on a décidé de continuer dans Green River, c’était un peu le même problème. « Bon, je n’ai ni guitare ni ampli, peut-être que je devrais essayer de chanter ». Et je ne sais pas si tu as entendu le Green River du début, les démos avant que Stone (Gossard, maintenant dans Pearl Jam) arrive dans le groupe. Merde, je pouvais à peine chanter. Waa waa waa. J’essayais de me la jouer hardcore, un truc comme ça. Alors bon, je vois tout le cheminement comme un apprentissage. Même aujourd’hui. Comme quand j’ai fait cette tournée avec le MC5, j’ai appris une chiée de trucs. En fait tu t’aperçois qu’on est coincés dans des habitudes. Un groupe de personnes a sa façon de travailler, et il la répète encore et encore et encore. Quand tu bosses avec d’autres gens, tu es obligé de penser à d’autres façons de faire les choses.


Si tu n’avais qu’une seule chanson de Mudhoney à jouer avant de, disons, exploser sur scène ou un truc du genre. Laquelle tu jouerais ?


En ce moment, ce serait sûrement « Tales of Terror », qui est sur le nouvel album. Mais seulement si je sens que je vais exploser en plein milieu du set.


Cette chanson, justement, c’est un hommage au groupe du même nom ?


Dans un sens, oui. Un pote à moi avait sa platine vinyle relié à son ordinateur, alors je lui ai demandé « Tu ne peux pas me digitaliser ce disque, parce qu’on ne le trouve plus nulle part ? ». Il l’a fait et du coup, je l’écoutais partout. Dans la rue, au boulot. On était en train de composer pour l’album et je suis arrivé avec ce riff de guitare. Le temps qu’on le travaille pour arriver à la chanson que c’est aujourd’hui, on cherchait un titre et on continuait à en parler comme de la « chanson Tales of Terror ». Finalement, quand on a dû choisir un titre pour de bon, on a gardé « Tales of Terror ». Mais le groupe avait aussi une chanson du même nom. Ce n’est pas une reprise, mais oui c’est clairement un hommage.


Tant qu’on parle d’influences, je sais que tu as été très inspiré par le hardcore des années 80 et…


Le début des années 80. Vers 1984, les gens intelligents qui étaient actifs dans le hardcore ont changé de direction. Black Flag a ralenti son tempo, les groupes comme les Butthole Surfers commençaient à émerger. Ils sont arrivés avec des chansons comme « the Shah sleeps in Lee Harvey’s grave » qui était un genre de parodie de hardcore. « Suicide » ou d’autres chansons comme « Wichita Cathedral » et « Something » n’étaient plus des chansons hardcore, mais c’était toujours très punk.


Le hardcore et cette scène radicale, ça a eu une influence quand tu t’es mis à parler de politique dans tes textes ? Il y a eu plusieurs chansons sur le gouvernement Bush, ta prise de position en faveur du vote.


Non. Black Flag, par exemple, n’était pas très engagé politiquement. Ca a plus à voir avec le fait que j’ai dû vivre cette putain de période. Je ne sais pas pourquoi il n’y a pas eu plus de groupes à monter au créneau. C’était une période horrible. C’était vraiment horrible de vivre aux Etats-Unis pendant tout ce temps. C’était gênant et oppressant.


Ce serait quoi ton disque « île déserte » aujourd’hui ?


Le disque ultime c’est ça ? Je vais te dire un truc, aujourd’hui, avec les Ipods, tu n’as plus besoin de faire ce genre de choix. J’ai juste besoin de mon Ipod de – genre – 80 gigas.


Ok je vois, tu es en train de tuer cette question de façon durable. Alors, ça aurait été quel disque au début de Mudhoney, à l’époque de Superfuzz Bigmuff ? Parce que le Ipod n’existait pas en 1988 hein.


Ca ne pouvait être qu’un disque des Stooges, mais c’est vraiment difficile de dire lequel.


Je dirais que ‘Funhouse’ est peut-être le plus proche de ce que tu as fait avec Mudhoney.


Peut-être Funhouse oui. Je m’apprête à prendre la plus énorme des décisions de ma vie. Je vais dire… peut-être que le premier album serait plus approprié, parce que dessus, il y a cette chanson stupide « We will fall ». Que j’adore hein. Si tu ne peux pas supporter ça jusqu’au bout, tu n’as rien à faire avec les Stooges, j’imagine.