jeudi 20 novembre 2014

JUDAS PRIEST


Si tu demandes à un gosse de dessiner un groupe de heavy metal, il va y mettre tout le stock de clichés sur le genre : un chanteur à la voix suraigüe, deux guitaristes, du cuir, des clous et du headbanging. Bref, il ne connaît peut-être pas Judas Priest ce kid, mais au fond il ne connaît qu’eux. Tu y rajoutes une consommation de batteurs à la Spinal Tap et finalement, tu as noir sur blanc un topo qui prête à sourire. Mais ce groupe de cols bleus de Birmingham a eu le mérite de créer un standard en reproduisant instinctivement le vacarme industriel des usines dessinant le paysage, et est resté cohérent pendant 15 ans à travers tout les bouleversements (punk, puis hair metal US et grunge). Le spectre de temps couvert par ses grands classiques, de British Steel en 1980 à Painkiller en 1990 n’a d’ailleurs pas été souvent vu chez ses concurrents directs.
Pour son 17e album, Judas Priest a vu se désintégrer son duo de guitares Downing / Tipton et le nouveau Richie Faulkner est venu mettre son coup de jeune, mais Rob Halford est toujours le même. Il nous parle de Redeemer of Souls sur le même contrepied trompe l’oeil qui touche le groupe : plus gentlemen cultivé que motard à clou.

Interview publiée dans New Noise # 23



Le nouvel album – Redeemer of Souls – sonne comme un mix entre le Judas Priest de la fin des années 70 et celui de Painkiller (1990).
Ca fait six ans qu’on a sorti Nostradamus, mais ensuite il y a eu le très long Epitaph Tour où on faisait une revue complète de la discographie de Judas Priest. Ca nous a donné l’occasion de remettre le nez dans les origines du groupe, de récapituler tous les moments significatifs de notre route en commun. Quand on est entrés en studio, on voulait partir avec une certaine fraicheur, on n’a jamais écouté nos vieux disques. Ce n’était donc pas un but avoué de notre part mais tous ces morceaux joués sur la route étaient présents dans les esprits. L’arrivée de Richie (NdR : Faulkner, le guitariste qui a pris la place de KK Downing) a amené un souffle nouveau, entre réelle loyauté à ce qu’on a été et regard neuf, plus moderne. Donc j’aime beaucoup ce genre de comparaison, car Painkiller était déjà dans la même situation, avec des morceaux dans la lignée de ce qu’on avait fait avant, mais un son revigoré par l’arrivée de Scott Travis (NdR : le batteur tentaculaire avait remplacé le beaucoup moins doué Dave Holland). Mais si on veut éviter le jeu des comparaisons, c’est simplement de nouvelles compos de Judas Priest, ce que le groupe avait à dire en 2014 (rires).
Alors c’est le premier album avec Richie Faulkner, ok, mais on devrait peut-être dire plutôt que c’est le premier de l’histoire sans KK Downing.
Bah, la vie continue. On a toujours pensé que Judas Priest n’était pas centré sur un membre en particulier, et je suis bien placé pour en parler (NdR : Rob Halford a quitté le groupe de 1992 à 2003). KK sera toujours une forte composante de notre histoire car il a amené un style de guitare, il a composé des chansons et tout le reste. Mais il a choisi de prendre sa retraite et ce n’est pas le cas pour nous.




Redeemer of Souls revient aux fondations du groupe après avoir expérimenté sur Nostradamus. Vous étiez mal à l’aise dans le plan concept album ?
Non, tout le monde dans le groupe a apprécié faire Nostradamus et on assume encore aujourd’hui sans trop forcer. Je pense que l’album sera mieux accepté et obtiendra plus de reconnaissance au fil du temps. On n’avait jamais fait ce genre de chose avant, donc on s’attendait à avoir des réactions négatives. Mais je me souviens qu’on avait eu des retours plutôt virulents pour Painkiller aussi. Parfois, les metalheads sont un peu comme ça. « Je veux British Steel, encore et encore ». Et puis les plus jeunes répondront à ça avec un « je veux Painkiller moi, éternellement ». Si tu te mets à écouter tout le monde, tu deviens complètement dingue. Nostradamus a peut-être offert une tonalité très différente à ce qu’on a toujours fait, mais je pense que c’était du bon boulot. Il faut plus de temps pour l’appréhender, par contre. Je crois aussi que ça part d’une nouvelle vision des disques. Ce n’est pas un produit, c’est comme les livres ou les films, il faut que chacun s’investisse dans son approche. Tu ne juges pas un film en quittant la salle au bout d’une heure seulement, tu ne refermes pas un bouquin à la 50e page. Tu vas jusqu’au bout. Tu dois donner de ton temps et de ta patience au support. Et il semble qu’aujourd’hui, la patience que le « consommateur » est prêt à donner à un nouveau disque est limitée. Il y a un besoin d’immédiateté très handicapant pour l’art en général.
Le groupe a été affecté par les critiques négatives ?
Non, je crois qu’on doit avancer sans penser à des critiques quelconques. Je n’ai pas besoin de ça pour savoir si ce que je fais est ok ou pas.
Mais en 2014, les gens attendent un Judas Priest qui récite ses gammes classiques, on dirait que vous n’avez pas la permission de vous aventurer dans de nouvelles directions comme vous avez pu le faire avec Turbo dans les années 80. Est-ce que la postérité rend les choses difficiles au niveau de la composition ? A la fois parce que les gens attendent les bonnes vieilles recettes, et parce que peut-être vous ressentez inconsciemment un manque de motivation créative à cause de ça.
C’est sûr qu’à un moment de ta carrière, tu jongles avec beaucoup d’émotions. Mais si tu penses trop à ça, tu ruines absolument tout. Tu détruis l’âme du groupe, l’esprit général. Je crois que le secret est de toujours te faire confiance et quand tu as fait tes choix, de les exécuter le mieux possible. Beaucoup de gens ont fait très attention aux critiques qui les entouraient et ils n’ont pas eu des carrières très longues.



Judas Priest est resté actif au cours de quatre décennies. Le heavy metal s’était construit sur un fort sentiment de « nous contre le reste du monde », en se plaçant dans la peau d’éternels outsiders, mais le mouvement a survécu au punk, à la new wave, au grunge et à l’indie pop, qui avaient tous en commun de taper plutôt dur sur le style. Tu penses que ce sentiment a disparu aujourd’hui ? Que ce ne peut plus être « vous contre le reste du monde » vu que tout le monde accepte le heavy metal comme un mouvement plutôt mainstream et que l’horizon est donc plus dégagé pour les nouveaux groupes de métal ?
C’est une très bonne question. Oui, je crois que le metal a vécu des moments très compliqués à la fin des années 70 et au début des années 80. En fait, à travers tous les mouvements dont tu parles. Et on a du gagner beaucoup de batailles pour finalement accéder directement au mainstream. C’est assez ironique. Ce qui a été toujours un socle important dans le heavy metal, c’est le soutien particulier des fans. Je ne sais pas si c’est comparable dans les autres secteurs du rock. Ca procure toujours des ressources insoupçonnées d’être rejeté sans cesse, mais je crois que la bataille continue malgré tout dans le sens où les groupes de metal ont toujours besoin de prouver leur pertinence et leur vraisemblance. Ca reste un mouvement mésestimé. En ce qui nous concerne par exemple, je ne veux pas que Judas Priest soit considéré comme un simple groupe de heavy metal old-school, vaguement has been. Je veux que ce disque soit respecté au milieu de toutes les sorties de 2014, et non comme un énième chapitre de notre discographie.
Certaines de vos marques de fabrique les plus connues ont été validées comme clichés absolus du heavy metal dans les années 80 : le cuir, le headbanging synchronisé sur scène, les riffs plombés exécutés par deux guitares... Penses-tu que ça vous a aidé quand il y a eu un revival, en vous faisant immédiatement sonner comme un classique chez les kids ?
Il y a  des choses que tu peux contrôler et d’autres qui se développent sans que tu ne puisses le faire. Tu dois avoir la peau dure quand tu es dans un groupe. Les gens diront que tu fais de la merde, que ton look est horrible, ce genre de choses. Il faut laisser passer ces choses sans trop s’en préoccuper car c’est souvent temporaire et ce n’est pas forcément représentatif de ce que pense la majorité des gens qui te suivent. Je crois que la qualité principale quand tu fais de la musique, c’est la persévérance. Croire en ce que tu fais, tu ne peux pas contrôler si ça va aboutir à une vague de critiques ou à la postérité, « sonner comme un classique » tu ne peux pas le décider le premier jour.


Au cours des mauvaises années, vous avez acquis une nouvelle popularité et un nouveau public grâce à des shows TV, comme Beavis et Butt-Head ou le reportage Heavy Metal Parking Lot. Vous êtes apparus dans les Simpsons. N’est-ce pas bizarre pour un groupe plutôt rugueux comme Judas Priest ? Tu expliques ça comment ?
C’est très simple, on est favorables à tout ce qui peut porter la parole de Judas Priest sans la compromettre.  Déjà c’est gratifiant, car ça veut dire que le groupe a transpiré dans d’autres cultures et n’est plus simplement de la musique. Mais aussi parce que ce n’est pas juste nous, on doit accepter ce genre de choses car c’est bon pour l’image du heavy metal en général. Souvent, on ne fait pas attention aux conséquences : on s’est fait particulièrement attaquer pour avoir participé à American Idol, mais ce genre de choses arrive. Je crois toujours que c’est bien pour l’image du mouvement, pour que les foyers les plus modestes voient qu’on n’est pas qu’un troupeau de satanistes qui crachent du sang.



 
Dans Beavis et Butt-Head particulièrement, les showrunners établissaient un saint triptyque du heavy metal : les deux personnages portaient des t-shirts AC/DC et Metallica et chantaient Breaking the Law dans quasiment chaque épisode.
(rires) oui, les plus grands fans du monde. C’était flatteur d’être sur le podium.
Ce qui est intéressant avec les groupes anglais old-school de heavy metal, c’est que ce n’est jamais allé dans la même exagération que la scène US de hair metal. Judas Priest, Iron Maiden ou Motörhead, vous êtes tous restés très simples et pragmatiques, très humains. Qu’est ce qui a fait la vraie différence selon toi ?
Je crois vraiment que ça tient vraiment à l’endroit d’où tu viens. Les groupes européens ont toujours eu une différente approche dans l’attitude. L’endroit où tu nais, celui où tu grandis te modèlent dans l’approche que tu auras de la créativité. Je pense que le metal a été créé dans des environnements industriels plutôt rugueux, ça n’a rien à voir avec écrire des balades pour entrer dans les charts, mettre des spandex de toutes les couleurs et acheter des voitures flashy. Une des plus grandes vertus du heavy metal est son côté concret. Et tout le monde peut venir me voir dans la rue et discuter, comme Lemmy ou Bruce Dickinson. On n’est pas entourés de cordons de sécurité, on reste de vrais gens qui ne se prennent pas pour des parvenus. On sait d’où on vient.
Birmingham n’est pas vraiment Los Angeles.
(rires) Non, pour un tas illimité de raisons. Los Angeles peut parfois devenir une machine qui brise ou dilue les initiatives. J’adore cette ville, c’est un puits de créativité sans fond, mais c’est un environnement brutal. Birmingham est un point de départ, Los Angeles est davantage un point d’arrivée sur la route du succès. Ce doit être très difficile de réussir quand tu pars de là-bas. Je crois aussi que c’est plus facile de rester sincère et intègre quand tu viens de Birmingham que quand tu grandis dans l’effervescence d’Hollywood.




Judas Priest est un groupe qui a vécu plusieurs vies, qui pourrait remplir plusieurs bouquins et surtout, qui a été présent dans toutes les grandes batailles importantes de ses époques : vous étiez en 3e position sur la liste noire du PMRC (NdR : la ligue puritaine de l’épouse d’Al Gore), les procès au sujet des suicides causées par des soi-disant messages subliminaux sur les disques, toi tu as fait ton coming out en direct sur MTV...
Je suis d’accord mais je préfère penser qu’on n’a été que dans quelques controverses sur une période qui couvre plus de 4 décennies. C’est un bon score. Je suis fier qu’on n’ait jamais été un groupe qui crée le scandale sur des choses futiles. Certains groupes ont utilisé ça pour se faire de la pub ou se faire une image, je suis content qu’on ait eu d’autres arguments. Après, tu as totalement raison, on a toujours été dans les problématiques importantes et les avancées idéologiques au fil des années, mais dans ces combats là, on n’était pas particulièrement Judas Priest, on était un groupe de heavy metal puisque c’est tout le mouvement qui était montré du doigt. Et les victoires qu’on a remportées ont servi selon moi à toute la musique, au-delà de notre simple mouvement.
Quand tu as quitté le groupe dans les années 90, tu as semblé essayer la modernité avec Fight où tu as fait un premier album influencé par Pantera et un second dans une mouvance plus 70s, et 2wo, qui était davantage metal-pop-indus. Si tu devais te lancer dans un projet plus moderne aujourd’hui, vers quel style de musique irais-tu ?
Je ne sais pas si j’irais forcément vers la modernité, qui reste finalement une initiative toujours très datée, mais je ferais probablement un album heavy metal blues. Je ne crois pas que ça ait été une piste très creusée jusqu’ici, à moins que je ne me trompe. Sur Redeemer of Souls, on a écrit un morceau qui s’appelle Crossfire. On a construit à partir d’un solide riff heavy blues et c’est sûrement la chanson qui m’a le plus excitée sur le dernier disque.
Tu as des regrets au niveau de ces deux groupes, Fight et 2wo ? Tu aurais aimé amener les choses un peu plus loin ?
Oui j’aurais aimé mais si je me replonge dans la succession des événements, je me souviens que j’avais fait les deux albums de Fight et que j’allais faire le troisième. Et c’est là que j’ai rencontré Bob Marlette et Johnny 5. C’était excitant de voir ce que je pouvais faire de cette opportunité. J’ai alors croisé Trent Reznor à la Nouvelle Orléans pour Mardi Gras et c’est là que le disque de 2wo est devenu un projet plus concret. L’implication de tous a rendu ce moment assez spécial. Ce n’était pas comparable à Fight, mais dans ce style qui était très différent c’était plutôt heavy. Alors oui, les choses auraient pu être différentes. Les deux groupes auraient pu continuer et devenir des projets plus importants qu’ils ne l’ont été, mais c’est juste une histoire d’opportunités et de contexte. Et c’est vrai dans le futur aussi, je ne ferme pas ces opportunités là si elles se représentent avec la même envie. Je n’ai aucun regret, je suis heureux que ces projets aient existé et de les avoir abordé avec l’esprit ouvert et une certaine fraîcheur. Et sur un plan objectif, non ils n’ont probablement pas été développés comme ils l’auraient du, mais je suis revenu dans Judas Priest et c’est devenu la priorité absolue.
Judas Priest
Redeemer of Souls
(Epic Records/ Columbia Records)