lundi 7 mai 2012

On the road with KARMA TO BURN


De passage à Bordeaux, Karma to Burn m'a rappelé que deux interviews du groupe moisissaient dans mon dictaphone. Elles n’ont pas trouvé preneur et comme souvent, ça a suffi à me pousser à la procrastination radicale. J’ai donc compilé de courts extraits de ces deux très longs entretiens. Peu de mes épopées backstage m’ont déçu, mais aucune n’a eu en guest quelqu’un de plus gentil que Rich Mullins (bassiste).
Photos par Louise Dehaye.

On avait d’abord rencontré Rich à Périgueux. « Appalachian Incantation», le premier album depuis dix ans, venait de sortir. J’avais écrit ce live report pour Abus Dangereux :
(...) Sur disque, le groupe nomme ses morceaux comme d’autres des chambres d’hôtels (42 est le 2e morceau du 4e album). Sur scène, pas un mot. Le package pourrait sembler austère et pourtant on entre dans une communion enamourée à la première note. Un stoner puissant, accrocheur et qui provoque immédiatement une réaction épidermique. Plus qu’une claque, un bouton ‘reset’, comme si on se départissait du côté blasé et qu’on n’avait jamais vu de concert avant. Science du riff et efficacité optimale tout le long. Pas de longueur ou de fioriture. Du point A au point B. Une deuxième chance inespérée pour ce groupe crucial de deux mouvements jugés futiles, le stoner et l’instrumental. « Now » inscrit sur la batterie de Rob Oswald résume bien à la fois la meilleure façon de vivre ce concert, et la façon qu’a le groupe de l’appréhender lui-même. Le gang a choisi d’exorciser les vieux démons à même la scène. Comme un four qu’on aurait chargé de bois toute la journée cracherait des flammes incontrôlables dès qu’on ouvrirait la porte. C’est sûrement l’alchimie la plus improbable de la musique actuelle, avec la reformation de Take That. Une force centralisée incroyable, bien plus forte que l’ensemble de ses parties. En plus de ça, les nouveaux morceaux (« 41 » et « Waiting for the western world » notamment) empêchent de sombrer dans le passéisme du « c’était mieux avant ». 


 
Tu es content du dernier album ? Il a reçu de très bonnes critiques.
Je l’aime beaucoup. Mais on est en plein enregistrement du prochain album, ça me paraît déjà vieux.
Ca a été une expérience d’enregistrer avec Scott Reeder (NdR : Kyuss) ?
Il a un ranch disproportionné au milieu du désert. On a enregistré entourés par des paons, un nombre incalculable de chiens et des moutons au look étrange. Tu parles d’expérience et je suis sûr que tu ne te doutais pas de l’exactitude du terme, ah ah. Mais c’était au milieu de nulle part et ça nous a permis de rester concentrés sur l’enregistrement. Plutôt une bonne chose.
Il vous a obligé à enregistrer pieds nus comme il a toujours fait ?
Oh non. Par rapport à ce que viens de t’expliquer, c’était même plutôt conseillé de faire gaffe où tu marchais.
Il y avait le risque d’être comparé à Kyuss en choisissant Scott Reeder.
On a une longue histoire avec Kyuss. Après « Welcome to Sky Valley », John (Garcia) est venu chez moi en West Virginia pendant quelques semaines. Il avait aussi chanté sur des compos de Karma to Burn qu’on n’avait pas gardé. Et puis, on avait été invités sur une tournée de Queens of the Stone Age pour faire la première partie. On connait bien ces gars. C’est marrant parce qu’on est de la côte Est, eux de la côte Ouest, et ils n’avaient jamais entendu notre musique avant qu’on se rencontre. Il y avait peu d’échanges entre les deux côtés des US et pourtant on a joué une musique équivalente. Mais je ne pense pas qu’on sonne vraiment comme Kyuss.
Et vous avez déménagé à LA il y a quelques années, histoire de vous rapprocher.
On ne s’est pas lassés de la West Virginia, mais elle s’est apparemment lassée de nous.

Vous devez avoir changé de méthodes pour composer et enregistrer après toutes ces années.
Le prochain album sera vraiment différent de ce point de vue. Dave Grohl nous a prêté son studio et on le co-produit. Le son va être énorme. Dave nous a laissé tout le matériel des Foo Fighters. On n’est pas du genre à passer des mois dans un studio. Notre rythme, c’est plus une semaine entre l’entrée en studio et le mix final. Mais là, c’est l’occasion de prendre son temps sans se soucier du budget ou s’inquiéter de conditions précaires. Ca pourrait prendre quatre fois plus de temps, ah ah.
Comment décidez vous si un morceau va être instrumental ou comportera du chant ?
Bonne question. On n’a toujours pas trouvé la réponse nous-mêmes, à vrai dire. On fait des essais etc, mais la décision vient toujours après avoir enregistré, quand on écoute le morceau tous ensemble dans le studio.
Ce n’est pas ironique que le groupe soit presque exclusivement instrumental et que le sujet récurrent des interviews soit le chanteur ?
Ah ah, complètement. Qu’on le veuille ou non, les enregistrements instrumentaux touchent un public moindre. Les gens s’identifient naturellement au chanteur. C’est peut-être une limite, car il me semble que les horizons sont plus étendus quand tu te concentres sur les instruments. C’est assez étrange que les gens se concentrent sur l’absence de quelque chose plutôt que sur ce qui existe. On aimerait avoir plus de critiques sur ce qu’on fait que sur notre choix de formation. On passe pas mal de temps à écrire nos morceaux, et j’ai l’impression qu’on passe beaucoup moins de temps à en parler. C’est dommage.
Après avoir splitté, ce n’est pas bizarre de revenir avec les deux autres gars ? Vous ne pensez jamais au risque de revenir au même point de non-retour ?
Non. Pour être honnête, on ne s’en fait pas vraiment à ce sujet. On est potes depuis très longtemps, j’avais 13 ans, et la priorité, c’était de redevenir potes comme on l’a toujours été. On avait l’habitude de tout faire ensemble, et tout d’un coup on a arrêté de se parler pendant sept ans. C’est ce qui est bien avec la vie : rien n’est permanent, à part la mort il me semble. Tu peux être immature un jour et devenir sensé avec le temps. Les avantages de la seconde chance.
La musique instrumentale est souvent en lien avec les BO de films. Quel serait le film qui collerait parfaitement à la musique de Karma to Burn ?
Un gars au Brésil a mis sur YouTube la poursuite de Bullit avec un morceau à nous. Je trouve que c’est absolument parfait. Je dirais n’importe quel film de Steve McQueen. J’aime vraiment ce gars.
Je m’attendais à quelque chose de plus tordu.
On a un pote qui fait ce cartoon, Aqua Teen Hunger Force. C’est un cartoon très populaire aux Etats-Unis. Les héros sont un milk-shake, un cornet de frites et une boulette de viande.



Il devrait faire une vidéo pour nous. Un truc sûrement très contestable, comme le film italien Beyond the door. J’aimerais un truc dans ce genre, cheap et sanglant. C’est un de ces films qui a surfé sur le succès de l’Exorciste. Ils ont tellement copié qu’ils ont été poursuivis. 

 
La seconde fois qu’on a rencontré Karma to Burn, c’était au Hellfest 2011. J’avais écrit ça dans le live report :
Très bon concert mais un problème de rendu. Le technicien de Monster Magnet a apparemment été réquisitionné au dernier moment pour s’occuper du son et je mettrais bien un billet sur la probabilité qu’il soit batteur. Rob Oswald a en effet un son incroyable pendant que Rich et Will se battent au milieu des fréquences nécrosées. La fin des chansons notamment est un beau merdier où on a du mal à détecter de quoi il s’agit. Super concert malgré tout, et ça c’est une performance. Sans aucun signe d’agacement en plus, ça montre à qui on s’adresse.
C’est même Rich Mullins qui nous a appris que Turbonegro se reformait avec un nouveau chanteur. Karma to Burn avait enchaîné en quelques mois avec le sortie d’un deuxième disque, V. En temps normal, le titre de l’album était le seul qui échappait au délire numéraire, mais celui-là n’a pas su résister.


 
La pochette est vraiment cool.
C’est le travail d’Alex Von Wieding . Il s’était déjà occupé de celle d’Appalachian Incantation.
D'entrée, ce qui frappe c’est cette reprise de ‘Never Say Die’ de Black Sabbath. C’est très courageux car les fans détestent ce disque.
Ouais, mais je ne sais vraiment pas pourquoi. J’adore ce disque. J’aime Technical Ecstasy aussi, et les gens le détestent peut-être encore plus. Sur le premier album, on avait repris 24 hours de Joy Division, et les paroles sont l’exact opposé de Never Say Die. L’absence totale d’espoir. La persévérance jusqu’au boutiste. Variété des messages, ah ah.
Quelle est ta chanson préférée de Black Sabbath ?
Air Dance, sur Never Say Die, justement.

Vous avez fait un clip pour Cynics qui est sorti en même temps que l’album. C’est quoi votre problème avec les bébés ?
C’est le réalisateur qui a eu cette idée. Il est très inspiré par les films d’horreur et son obsession pour les bébés. Tu vois ce que ça donne. On voulait un truc stupide. Pas mal de gens ont hurlé en voyant ce clip, mais j’ai du mal à croire qu’on puisse vraiment prendre cette vidéo au premier degré. On trouvait ça fun et on avait oublié que d’autres personnes pouvait se sentir agressés. « Vous êtes sérieux les mecs ? Vous ne pouvez pas faire ça à des bébés », « Je vous aimais bien avant mais maintenant vous vous en prenez aux bébés »
C’est le syndrome Tipper Gore (NdR : la femme d’Al Gore était à la tête des puritains 80s qui avaient imposé le sticker ‘Explicit Lyrics’ ).
Oui, « ne faîtes pas ça, les rockers sont le diable ».

 
Vous sortez ce disque très tôt après Appalachian Incantations. Ce sera le nouveau rythme de Karma to Burn à l’avenir ?
On avait beaucoup de chansons. On avait enregistré 25 démos pour préparer les sessions avec Scott Reeder. A vrai dire, je ne pensais pas que ce serait un problème. Dans les années 70, c’était normal de sortir un disque par an. Même si les gars piquaient tellement de trucs aux autres qu’ils n’avaient même pas besoin d’écrire de nouvelles chansons ... comme Led Zeppelin. Bref, beaucoup de magazines ont critiqué le choix de sortir un disque si tôt. C’est étrange. Les gars sont du genre « oh j’adore cet album, je lui mettrais une note incroyable mais j’aurais préféré attendre plus longtemps, je ne veux pas de cet album. » Wow ! 

mardi 1 mai 2012

John Carpenter + Guest


Je regardais « the Thing » de John Carpenter. Je voulais ressentir de nouveau le confort d’aimer un film sans ressentir l’aigreur à l’idée que les producteurs ne sortent une suite dans la foulée. Ain’t no school like old school. Mais soudain, j’ai été frappé par un recoupement hasardeux. Et si Carpenter avait écrit le premier rockumentaire ?


Je me suis toujours dit que résumer ce film était le tuer instantanément, mais bon, c’est vraiment un classique qui mérite son label qualité. La routine d’une base coupée du monde en Antarctique est bouleversée quand des voisins norvégiens font irruption et poursuivent un loup de façon vaguement hystérique. Le loup s’avère être un polymorphe extra-terrestre qui va s’immiscer dans la base en prenant l’apparence de ses membres un par un. Oui mais qui ?
Un huis-clos. Des communications coupées. Un environnement purement masculin. Une menace qui vient de l’intérieur. Des personnes qui se connaissent parfaitement et qui commencent à douter les uns des autres alors qu’ils ont besoin d’être soudés pour s’en sortir. La paranoia. Si un individu s’éloigne du groupe, il est immédiatement suspecté. J’en ai déduit que « the Thing » était un bien meilleur documentaire sur le rock que ne le serait jamais Spinal Tap ou Some Kind of Monster. Le guide parfait à l’usage des jeunes groupes.

 
On sait qu’il existe un lien fort entre John Carpenter et la musique. Il compose lui-même la BO de ses films. Quand on revoit le film sous cet aspect de rockumentaire, il y a des coïncidences frappantes. Kurt Russell dicte à son journal de bord une phrase qui résume parfaitement n’importe quelle session studio : « I'm going to hide this tape when I'm finished. If none of us make it, at least there'll be some kind of record. The storm's been hitting us hard now for 48 hours. » C’est ce qu’a du dire Shaun Ryder quand les Happy Mondays ont planqué les bandes ce cet enregistrement surréaliste aux Baléares, où le groupe avait grillé le budget avant de mettre en boîte la moindre note de musique.

« I don’t know what the hell is in there, but it's weird and pissed off » 

 

Ajoutons à ça que les problèmes commencent quand un loup s’immisce dans le groupe établi. Phénomène déjà connu sous le nom du syndrome ‘Yoko Ono’. La "chose" est suffisamment intelligente pour exploiter le climat de suspicion qui règne entre les autres membres du groupe et monte tout le monde contre le personnage intègre. Hawkwind a bien viré Lemmy pour préserver les egos. Enfin, la dernière scène est un bon résumé de la lutte quotidienne de l’indé face à l’industrie du disque. « Why don't we just wait here for a little while ? See what happens... »


Le message est clair. Cette base aux confins du froid, c’est Black Flag en 1981. Cet extra-terrestre, c’est le putain de mainstream. Carpenter a tout juste et en fond, il nous affirme que le mimétisme tue. Pitchfork se lève et crie « objection ».

Le titre de la nouvelle dont s’inspire le film – « le ciel est mort » de John Campbell – vient se confronter à la doctrine rock’n’roll « it’s a long way to the top ». Grimper, ok, mais pour arriver où ? « Le ciel est mort » est du genre de ces panneaux au milieu du désert « next gas station = 450 miles ». Le message de Campbell est clair : « ne venez pas ici, il n’y a rien ».  Il y a dans le film le même genre de nihilisme salvateur, loin du bullshit des projecteurs. On pense aux Leningrad Cowboys, dans le film d’Aki Kaurismaki, dont le parcours muet est raconté à travers le filtre parfaitement absurde du réel. Le rockumentaire est une niche, un genre à part pour nerds mélomanes. Des chefs d’oeuvre comme End of The Century (Ramones), We Jam Econo (Minutemen), ResErection (Turbonegro) ou Metal : a Headbanger’s journey côtoient les scénarisés Dig et Anvil, le tout est noyé dans le filon promo et rentable du tout venant. La différence entre un rockumentaire et un DVD promo à la Justin Bieber, c’est que le premier assume sa part de pathétique et de lose romantique. Encore un argument qui prouve que « the Thing » est un précurseur du genre.