dimanche 28 août 2011

FRIDGE OF FAME # 1 // KISS - Destroyer (1976)



Chez moi, tous les vinyls sont posés par terre, contre les murs. Je n’ai pas trouvé de rangement qui me conviendrait mieux. L'agencement est personnel mais bien trop égalitaire (Neil Young = Manowar ?) et j’ai voulu commencer à distinguer mes disques préférés. J’ai ainsi créé le Fridge of Fame avec mon vieux frigo 60s. Le Panthéon de ma collection. « Entre ici, disque d’occasion... » . Dans les faits, il ressemble à ceci.


Photo @ Louise Dehaye


Pour compenser, j’ai aussi créé le Wall of Shit, comme pour donner du panache au syndrome manichéen du fan.
Je ne pouvais que commencer cette rubrique par un disque de KISS. Je suis un immense fan de la première période, avec le line-up original. Je n’aurais pas choisi celui-là pour tout dire, mais semaine après semaine « Kiss destroyer » est la recherche Google qui amène le plus de monde sur mon blog … La loi de l’offre et la demande, vous savez.




Le pic de popularité du groupe s’est étendu de 1975 à 1977. A l’époque où les maisons de disques font tourner les machines, c’est un temps parfaitement suffisant pour sortir trois de ses meilleurs albums et deux lives.
Les journaux faisaient la course au cliché des gars sans maquillage. Un truc un peu bidon puisqu’on sait maintenant que pas mal de soirées avec musiciens et journalistes ont hérité de photos soigneusement gardées dans des tiroirs poussiéreux.




Les quatre membres avaient un rôle égal dans KISS, chacun chantait ses chansons : une version heavy metal des Beatles. Tant qu’Ace Frehley était là, le groupe écrivait même de vraies chansons, un style immédiatement reconnaissable et qui a influencé un paquet de musiciens (Scott Ian, Trent Reznor, Dimebag Darrell ... Lenny Kravitz). On doit reconnaître une chose de plus à KISS. Attirer l'attention, définir une personnalité forte puis être dénigré en peu de temps et enfin passer le reste de sa vie à errer dans la peau d’une caricature de soi-même .... c’est comme si le groupe avait inventé la TV réalité.
A la grande époque, KISS s’est construit une image sombre et dangereuse. Les parents détestaient ça : l’argument commercial ultime pour les teenagers. En 1978, Gene Simmons révélait sa face crooner sur son album solo. En 1979, le groupe enregistrait I was made for loving you. Seul Brian Joubert a fait plus de chutes en moins de temps. Le groupe est devenu une blague, un prétexte merchandising pour les kids.



Les new yorkais n’avaient pas vendu leurs trois premiers albums et étaient désespérés du son du groupe en studio, qui peinait à restituer leur énergie sur scène. Dernière chance donnée par Casablanca au bord de la faillite : un disque live. Alive aura des ventes hallucinantes (110 semaines dans les charts). C’est le démarrage de la folie autour du métal bubblegum. Mais voilà, pour surfer sur la vague, KISS doit re-rentrer en studio. Davantage de moyens. Davantage de pression aussi. Bref, en 1976 sort DESTROYER, produit par la superstar des potards Bob Ezrin.
La pochette déjà. Les trois premières pochettes revendiquaient un tas de trucs un peu disparates : le glam rock, le marché nippon ou l’appartenance à l’esprit downtown NY.






Le ton change. On est à fond dans les personnages de fiction dans la lignée de ce que dégage le groupe sur scène. Quatre gars maquillés ont mis une civilisation à sac, des buildings sont en feu et ils ont l’air de bien s’en carrer. Oui mais ils l’ont fait avec leurs costumes de scène. En dessin pour renforcer le côté comics. Le grand merchandising est lancé.



L’intro est longue. Surprenant pour un groupe qui se veut aussi catchy et efficace de se permettre le luxe de s’offrir cette intro théâtrale, cinématographique en fait. Paver son super hit de bruits de moteur pour rester dans le propos aussi, c’est surprenant. Ou débile. Mais comme l’avait dit David St Hubbins : « It’s such a fine line between stupid and clever ». C’est un peu l’ambiguité sur laquelle tient toute la carrière de KISS.
J’adore le Bob Ezrin qui a façonné les premiers albums d’Alice Cooper, un vrai génie. Le Berlin de Lou Reed aussi. Mais le mec a toujours été pompeux. Ce qu’il a fait pour the Wall de Pink Floyd, sur the Elder de KISS plus tard, son attachement aux concept albums. Et si on doit au gars certains des meilleurs productions de l’histoire, on doit lire des lignes pénibles sur son CV, comme Téléphone (dure limite) ou 30 seconds to Mars. C’est surtout pour mon moi-même adolescent le mec qui a poussé Ace Frehley vers la sortie de KISS. Leur relation a tourné très vite au bordel et Ezrin a régulièrement utilisé des musiciens de session pour les solos de guitare. Phil Spector avait décidé que le leader des Ramones était Joey. Ezrin a décidé que ce serait Stanley et Simmons pour KISS, tout en poussant un Peter Criss déjà absent à chanter une mièvrerie assassine. Bref, ce mec a tout du trou du fion définitif dans mon histoire personnelle avec KISS. Ce mec – très certainement sous crack – est capable de donner un « son » au versant le plus sombre de l’humanité sur God of Thunder et en même temps de mettre systématiquement les guitares sur la position « cheesy » (King of the night time world, Shout it out loud). On avait critiqué Spector pour faire jouer de la pop aux punks de NY : Match nul. Avantage aux points pour les Ramones, vu que les chansons restent quand même … well … bonnes.




C’est surtout l’enchaînement God of Thunder/ Great Expectations qui laisse des traces. D’un côté, on fait un pas quasi-définitif vers le stoner. C’est nasty. De l’autre, c’est le démon sanguinaire dieu du tonnerre cracheur de sang qui chiale dans sa bière Disney ? Sans rire !? Gene Simmons chante une bluette orchestrale complètement à dégueuler. Ce qui est assez ironique, c’est que l’intro de la chanson est un « emprunt » du thème de Beethoven (Sonate N°8 en Do mineur – opus 13) nommé « Pathétique ». On dirait que Ludwig Von avait déjà senti le coup.
Dans le plus pur style de KISS, aucune mention de cet emprunt n’est faite et le songwriting est attribué à Simmons et Ezrin.




Un album un peu à part dans la early-discographie de KISS. Un mélange entre supra-tubes avec une production enfin puissante et impressionnante (Detroit Rock City, King of the Night Time World, God of Thunder, Shout it Out Loud, Do You Love Me), des chansons purement Ezrin-iennes (Great Expectations, Flaming Youth, Sweet Pain) et cette chanson qui justifie le vandalisme … Beth.
Ok, il y a l’histoire romantique de la fameuse face B du 45 tours. Les radios passaient Detroit Rock City et la faiblarde ballade chantée par Peter Criss était calée de l’autre côté de la bordure. Le groupe voulait être sûr que les stations passeraient le single et avait donc mis la chanson la plus faible de l’album comme seule alternative. Un jour, les radios ont commencé à jouer Beth, et sombre ironie du goût mainstream, c’est seulement ce jour là que les ventes de Destroyer ont décollé. Gros succès. Airplay massif. Gosh, cette chanson est si mauvaise. Et les paroles sont à toper le virus Ebola direct. Oh Beth, je traîne avec les copains, on est à la répét, je sais que tu m’attends encore comme une nase dans notre pavillon de banlieue mais j’espère que tu vas t’y faire parce que je préfère vraiment jouer du rock avec mes potes.
Dude, vu comment tu t’es fait jeter trois ans plus tard, t’aurais vraiment du rentrer chez toi.




jeudi 25 août 2011

Punk Rock changed our lives

Interview de MIKE WATT parue dans New NOISE MAGAZINE # 5 // Juillet 2011

« Il pleut beaucoup aujourd’hui. Je me sens mal par rapport au public. Je n’aime pas penser qu’on assiste à un de nos concerts sous la pluie. » C’est la première chose que me dit Mike Watt quand j’arrive à son hôtel. Un bon instantané de l’altruisme du gars. De son parcours, on connaît surtout les Minutemen, un groupe devenu majeur sur la scène punk US des années 80 par la simple force de ses préceptes : le groupe tourne « econo » et renvoie le Do It Yourself dans les cordes, les chansons sont réduites à leur plus simple expression et refusent les structures classiques. Le groupe devient essentiel au hardcore sans jouer une seule note saturée. L’ultime marque punk. Une histoire qui ne dure que 5 ans: le guitariste et chanteur D Boon meurt dans un accident de voiture et brise à la fois le destin du trio et le lien fraternel qui l’unit au bassiste depuis leur enfance.




S’il tourne en ce moment avec les Stooges, le bassiste s’apprête à venir défendre en Europe son nouveau disque solo, « Hyphenated-Man ». L’homme trait d’union. Un disque autobiographique et un titre parfait pour celui qui a été essentiel sur la scène punk US sans jamais se mettre en avant.

Tu es sur la route avec la bande d’Iggy. Comment es-tu devenu un stooge ?

Je ne sais pas vraiment comment c’est arrivé, c’est une suite de coïncidences. J’étais vraiment malade, j’ai failli en mourir. Je venais d’être opéré et avec tous les tuyaux, je ne pouvais plus jouer de basse. C’était la première fois que j’arrêtais depuis mes 13 ans, quand la mère de D Boon m’a mis un instrument entre les mains. Quand j’ai repris ma basse, je n’avais plus de force dans les doigts. Je me suis d’abord entrainé à jouer une chanson des Stooges, avec peu de changements d’accords mais un bon groove. J’ai demandé à Jay et Murph de Dinosaur Jr de jouer un ou deux concerts avec des reprises des Stooges. Et j’ai proposé à Peter (DiStefano) et (Stephen) Perkins de Porno for Pyros de faire la même chose sur la côte ouest. C’était pendant ma convalescence, je me sentais encore vraiment faible. Ensuite, Jay m’a embarqué comme bassiste sur sa tournée solo et on a continué à jouer des chansons des Stooges tous les soirs.

Tout ça sans croiser un seul stooge.

Quelques années auparavant, j’avais participé au film Velvet Goldmine. Pour l’occasion, j’ai enregistré avec Ronnie (Ron Asheton). Il était venu à pas mal de mes concerts, à l’époque des Minutemen ou de Firehose. J’étais dans le studio et ces gars jouaient « TV Eye » juste devant moi. Il y avait Thurston Moore, Steve Shelley (NdR : tous deux de Sonic Youth) à la batterie. Alors Jay a demandé à Ronnie s’il ne viendrait pas jouer quelques chansons, puis s’il ne ferait pas une tournée. Puis on a fait les All Tomorrow’s parties en 2002 à Los Angeles. Scott (Asheton) nous a rejoint. Alors Jay a demandé si on ne ferait pas quelques concerts en Europe. C’est là qu’Iggy en a entendu parler. J’étais en tournée pour mon disque The Secondman’s Middle Stand. Un soir à Tallahassee en Floride, je reçois un coup de téléphone. C’était Iggy. Il me dit « Ronnie dit que t’es notre homme, Mike. Ca te dérangerait de remplacer ta chemise par un bon vieux t-shirt ? ». Le premier concert était à Coachella en avril 2003. Donc tu vois, c’était vraiment une chose après l’autre.




Le plan était du long terme dès le départ, alors.

Je n’ai jamais planifié ce qui s’est passé avec les Stooges. Je pensais vraiment que c’était juste pour un concert. C’est pour ça qu’il faut garder l’esprit ouvert, tu ne peux jamais savoir ce qui va se passer. La vie est faite de tournants. Ce qui est parfois flippant, c’est que j’écoutais ces chansons quand j’étais un kid. Mais tu ne peux pas te contenter de les écouter, tu dois rester intense, être dans la dynamique, être dans l’instant. Iggy mène le bateau, il a une éthique de travail vraiment intense. Il me rappelle D Boon. Pour moi, cet engagement extrême, c’est ce qui fait les meilleurs musiciens. Quand c’est l’heure du concert, la seule alternative possible est de se donner à fond. Les gens ont bossé dur toute la semaine, ils ont payé une entrée, c’est leur argent qu’ils placent sur toi et parfois les tickets sont très chers. Le moins que tu puisses faire, c’est de faire de ton mieux, aller au bout du truc. C’est comme une implication réciproque. Ils te doivent beaucoup, mais toi aussi tu leur es redevable. Moi-même je dois beaucoup aux Stooges, comme toute la scène punk. Elle n’aurait pas existé sans eux. Ils étaient importants pour chacun d’entre nous, et particulièrement en Californie du sud. La population est dispersée dans des villes de taille moyenne, ce n’est pas évident de fédérer dans ces conditions, mais on avait une chose en commun : les Stooges.

Il va y avoir un autre album avec James Williamson ?

Je sais que James écrit des chansons, mais pour le moment, on ne pense qu’aux concerts. Il n’y a pas vraiment de plan.

Quelle est la position des Stooges dans ta vie musicale, justement ? Ca semble moins personnel que tes autres projets.

Pour une fois, j’ai presque le rôle traditionnel dévolu aux bassistes. Je me concentre sur le jeu. Ca ne m’était jamais venu à l’esprit d’être un musicien d’appoint. Mais c’est une position intéressante car tu ne peux pas apprendre certaines choses quand tu es le boss, quand tu dis tout le temps quoi faire aux autres. C’est la troisième fois, puisque j’ai eu ce rôle dans Porno for Pyros avec Perry Farrell, et avec Jay Mascis and the Fog. Ca fait partie de l’expérience globale. Mon interprétation est différente des versions studio, même si j’ai beaucoup de respect pour David Alexander (NdR : premier bassiste des Stooges). Tiens, Un autre signe que ça devait se passer comme ça : il s’appelait David Michael Alexander, et je m’appelle Michael David Watt. Je dois de toute façon m’approprier les parties de basse. Maintenant que James Williamson est là, je joue les parties de basse de Ronnie. Pour tout dire, je ne pensais pas que le groupe allait continuer après sa mort.




Tu viens de sortir un album solo, Hyphenated man, avec les Missingmen (NdR : Tom Watson et Raul Morales).

Je vais venir en tournée à l’automne en Europe, il sortira ici à ce moment-là. J’ai fait la même chose au Japon l’automne dernier, et aux Etats-Unis et au Canada en mars. Je pense que c’est mieux comme ça, appuyer ta sortie avec la tournée, comme j’ai fait toute ma vie.

On ne te voit pas souvent dans notre pays.

J’ai eu plus l’occasion de venir ces dernières années, la France adore les Stooges. Avec les Minutemen, on ne pouvait pas venir ici. Quand on disait qu’on faisait une tournée en Europe, c’était principalement l’Allemagne de l’ouest. Ils avaient l’argent et les bons clubs. Avec les zones instaurées après guerre, il y avait une connexion avec la culture US là-bas. Et quand le mur s’est ouvert, on a eu paradoxalement très peu de concerts en Allemagne. La première fois que j’ai joué en France, c’était avec Jay Mascis and the Fog, en 2000.

Tu parles de l’album comme de la troisième partie d’une autobiographie.

Oui, ça parle de moi aujourd’hui. La première partie était Contemplating the Engine Room, en 1997. J’essayais juste de parler des Minutemen. Le deuxième, The Secondman’s Middle Stand, est sorti en 2004. J’évoque la maladie qui m’a presque tué. Cette fois, je parle juste d’un punk rocker d’un âge avancé. Ce sont des « opéras ». Je n’avais jamais pensé faire ce genre de concepts. C’est très étrange.

C’était la première sortie de ton label, Clenchedwrench.

Oui. J’ai tellement de projets que j’ai décidé de créer mon propre label pour ne pas avoir à en chercher un à chaque fois. Pour rester libre aussi. La prochaine sortie sera en juillet. C’est Dos, mon groupe avec Kira Roessler de Black Flag. On a ce projet depuis 25 ans. C’est mon groupe le plus ancien, de façon étrange. Je pense sortir des albums très régulièrement, mais je veux les espacer suffisamment pour que les gens n’y voient pas aucune confusion.

Sans parler des collectionneurs.

C’est encore un autre problème. Je ne veux pas non plus qu’on pense que je suis dans un délire autour de mon ego. Les gens pourraient avoir l’impression que je m’agite en hurlant « hey, regardez moi, regardez moi ». Ce n’est pas ça. C’est plutôt du genre « hey, j’ai mis ma basse dans cette situation très différente de la dernière fois, et voilà ce que j’ai appris ». Il y a aussi ce disque avec Richard Meltzer, tu sais l’écrivain et rock critic. Ca s’appelle Spiel Gusher. Richard m’a donné 48 textes de spoken word juste avant que je parte à Tokyo. Il voulait que je mette de la musique sur ses poèmes.

Lester Bangs disait que c’était dangereux quand un musicien et un rock critic trainaient ensemble.

Oh non, ce n’est pas la nature de notre collaboration. Ce qu’on a fait là, c’est quelque chose qu’on avait initié à l’époque des Minutemen. Richard nous avait passé des textes qu’on devait mettre en musique mais D Boon s’est tué juste après dans cet accident avec le van. On était tous les deux d’énormes fans de Blue Oyster Cult, et Meltzer avait écrit des paroles pour leur premier album, des chansons comme She’s as beautiful as a foot, Stairway to the stars… Dix des poèmes que Richard m’a donné sont d’ailleurs ceux qu’il m’avait proposés pour les Minutemen. En fait, je pense que tu te mets en danger à chaque fois que tu collabores avec quelqu’un. Tout est risqué quand tu touches au créatif. C’est un peu comme un gamin sur un skate-board. C’est dangereux mais c’est aussi grisant. S’il est raide sur sa planche et qu’il va très lentement, il n’y a aucun risque, mais ce n’est pas non plus très excitant. Bref, c’était surtout dangereux pour moi, car je ne voulais pas le décevoir. Quand il m’a dit qu’il aimait vraiment le résultat, ça a été un moment formidable. J’ai beaucoup pensé à D Boon aussi, parce qu’aujourd’hui, certains de ces textes qu’on avait il y a 25 ans sont devenus des chansons, comme c’était prévu.

Boucler la boucle.

Oui, en quelque sorte, même si on n’avait pas commencé à travailler dessus. Il m’avait juste donné les paroles et on était vraiment excités.




Tu joues maintenant avec les Missingmen, après avoir joué avec les Minutemen et fIREHOSE. Tu préfères les groupes de trois personnes ?

Il y a plus de place dans le van ! Je pense qu’il y a quelque chose de fondamental dans un trio. Je ne sais pas ce que c’est mais c’est comme ça que j’ai commencé à jouer.

Mais dans Dos, vous êtes … comment dire … deux.

Oui oui, deux basses. C’est un challenge car les basses sont sur la même fréquence et on doit être créatif pour laisser sa place à chacun. On est limités au niveau mélodique, et l’idée est d’en tirer le meilleur possible. Bass Magazine m’a demandé récemment quel était le futur pour notre instrument, j’ai répondu la composition. Quand tu composes à la basse, tu laisses naturellement beaucoup de place aux autres musiciens. Tu fais essentiellement des rythmes, quelques harmoniques mais ce n’est pas possible d’en faire énormément. Je pense que c’est intéressant, c’est plus une ébauche que quand tu composes au piano ou à la guitare. C’était l’idée d’origine du punk, essayer de faire les choses avec ce que tu as, ne pas être dépendant des structures classiques. Récemment, on a fait un morceau à trois basses avec Flea (Red Hot Chili Peppers).

Vous n’avez pas vraiment le même style.

Non. Il a en quelque sorte joué le rôle du kit de batterie, une partition très rythmique. Je jouais une basse plus traditionnelle et Kira utilisait des effets. C’était plutôt intéressant. Mais habituellement on est deux, comme le nom l’indique.

En 1995, tu sortais ton premier album solo « Ball-Hog or Tugboat ? ». Tu avais invité 48 musiciens à jouer dessus, comme Eddie Vedder, Pat Smear, Dave Grohl, J Mascis … Je me souviens qu’à l’époque, les gens n’avaient pas très bien compris ce changement. Ce n’est pas très econo (NdR : l’idée des Minutemen était de faire du Do It Yourself poussé à l’extrême du minimalisme et de l’économie).

Je vois ce que tu veux dire par « pas très econo ». Certains de ces gars sont devenus très célèbres. J’étais chez Columbia où j’avais déjà fait des disques avec fIREHOSE. La première fois que je m’étais pointé dans les studios, le gardien m’a envoyé au service du courrier. Il croyait que j’étais un livreur. La plupart de mes invités étaient aussi sur le label. C’était en fait très econo, tu sais. C’était très décontracté. Chaque chanson est en fait un groupe. D’une certaine façon, c’était même l’apogée de l’econo. J’avais toujours joué avec D Boon et là ça devenait personnel. On avait grandi ensemble et quand on jouait, on n’avait pas besoin de se parler, on se connaissait parfaitement. L’idée de cet album, c’était « ok le bassiste connaît la chanson, n’importe qui peut jouer de la batterie ou de la guitare ». De l’expérimentation vraiment. C’est ce que signifie « Ball-hog or Tugboat ? ». Egoïste ou altruiste ? C’est la place que peut occuper la basse dans une telle situation. Tu sais, dans les laboratoires, ils font des cultures de bactérie. C’était exactement comme ça dans le studio : « voyons ce qui va sortir de cette bactérie ? ».

Qu’as tu pensé du DVD « we jam econo », qui retrace l’existence des Minutemen ? Tu avais dit qu’avant de devoir le faire pour la vidéo, tu n’arrivais pas à écouter de nouveau ton ancien groupe.

Oui, j’étais très triste quand je repensais à D Boon. J’ai du réécouter car ils voulaient que je les aide. Tim Irwin et Keith Schieron étaient trop jeunes pour avoir vus les Minutemen. Ils m’ont demandé de parler dans le film. J’ai réécouté les disques avec beaucoup de recul. On avait été très influencés par les anglais Wire et The Pop Group. J’avais vraiment envie de jouer quelque chose d’aussi minimaliste. Ca a été aussi le point de départ d’Hyphenated-Man. Le film m’a permis de reprendre contact avec les Minutemen.




Tu as une place conséquente dans le livre d’Henry Rollins, « Get in the Van ».

C’était notre première tournée en Europe avec les Minutemen. Henry ne venait pas de Californie, il était de Washington DC. Je pense qu’on l’a un peu chauffé. On parlait de musique, et la grosse polémique venait tous les jours de la musique qu’on allait passer dans le van. On se moquait souvent de la musique qu’il passait. Plus tard, il m’a remercié de lui avoir fait découvrir le Velvet Underground. Je me suis servi de cette histoire pour notre chanson « History of the world part 2 ». Dans le bouquin, il veut m’étrangler. C’était la première fois qu’il partait sur la route. Ca l’a poussé à écrire ce journal qui est devenu « Get in the van ». C’est marrant car il y a plein de choses que tu ne pourrais jamais prédire. Aujourd’hui il écrit, il fait du spoken word. Je ne pense pas que lui-même se voyait faire ça à l’époque. C’est un bon ami, un gars très intéressant.

C’est fascinant car la route que vous avez tracée à l’occasion de cette tournée est toujours un classique pour les groupes indépendants. Tu sentais que vous étiez des pionniers d’une certaine façon ?

Tu sais, la scène punk à l’époque était minuscule. Les groupes new wave signaient sur les gros labels. Nous, on devait tout faire nous-même. Mais c’était quelque chose d’intéressant, l’indépendance, l’autonomie. Michael Azerrad a écrit ce livre « Our band could be your life ». C’était le premier à écrire sur le sujet. Maintenant, cette période est documentée, mais longtemps, il y avait les Sex Pistols puis Nirvana, mais il semblait ne rien y avoir entre les deux. Je ne veux pas sonner arrogant, mais peut-être en effet que ça avait un côté pionnier. Ce n’était pas la meilleure façon, c’était tout simplement la seule façon. Ca ne veut pas dire que c’était une mauvaise chose. C’était dur. Mais on écrivait nos propres chansons, il n’y avait personne pour nous censurer. On est sortis de notre pays pour jouer, on a vu d’autres cultures. Il y avait des choses difficiles bien sûr, mais dans l’ensemble c’était super, vraiment.




Tu étais très engagé à l’époque des Minutemen. Quelles sont tes convictions aujourd’hui ?

C’est à la fois très différent et tristement la même chose. En fait, je n’ai pas changé d’un pouce, mais j’ai perdu mon ami et les choses sont différentes. Avec D Boon, on était sur la même longueur d’ondes, mais on ne mettait pas les mêmes mots dessus. Il avait le talent pour que les choses paraissent plus claires. Je me souviens avoir écrit une chanson pour les Minutemen qui s’appelait « working men are pissed ». Je veux dire « en colère », parce que je sais qu’en Angleterre ça veut dire « ivres » et ce n’est pas exactement ce que je voulais exprimer. On avait d’autres boulots tout le temps qu’on a été dans les Minutemen, ça nous permettait de parler de choses authentiques.

C’était une façon de rester indépendants ?

Absolument. Surtout que comme je disais, notre scène était vraiment minuscule. Tu étais censé jouer de la musique commerciale. Les choses ont changé. Les gens se déplacent beaucoup et j’ai eu pas mal de monde lors de ma tournée. Pourtant ce n’est pas très commercial et ça ne passe pas à la radio. Mais les gens sont venus quand même. C’était vraiment différent à l’époque. Un public moins nombreux, même si on vivait econo, on avait besoin de ce job pour payer la nourriture, le loyer, l’essence … La scène a changé et les kids sont devenus plus ouverts d’esprit. Ce n’est qu’en 1986, quand j’étais dans fIREHOSE, que j’ai pu abandonner et me consacrer à la musique. Mais hey, c’est un vrai boulot. Pour la plupart des gens, la musique est une des composantes de la vie et ils passent à autre chose. Puis une nouvelle génération arrive et ils t’ont oublié, ou ne te connaissent pas. Ce n’est pas une mauvaise chose, ça te pousse à rester créatif.




Qu’est ce qui te guide aujourd’hui ? Tu joues toujours beaucoup de musique après toutes ces années.

L’idée dont je te parlais : mettre ma basse au défi. Je continue d’apprendre. C’est ma philosophie. Garder l’esprit ouvert. En ce moment même, j’apprends beaucoup avec les Stooges. Les gens ont toujours quelque chose à t’apprendre, mais tu dois être prêt pour ça. Le corps vieillit, les cheveux blanchissent mais il tient à toi de rester jeune dans ton cœur.

C’est étonnant car avec tous ces projets et ta vie sur la route, tu prends quand même le temps de faire tes podcasts : Watt from Pedro.

Oui, j’ai fait le dernier à Milan, il y a trois jours. Ca fait 10 ans que je fais ça maintenant. Je fais ça sur mon ordinateur dans ma chambre d’hôtel. Il y a certains aspects de la société qui ont connu une évolution contestable, mais emporter son ordinateur avec soi, c’est quand même un beau progrès. Je n’aurais pas pu faire la même chose à l’époque de « Get in the van ». Henry non plus et c’est sans doute ce qui l’a poussé à écrire. Je ne passe jamais de musique dite commerciale. Beaucoup de gens me passent leurs disques quand je les vois après les concerts. En fait, je crois que beaucoup plus de monde fait de la musique qu’à nos débuts. C’est souvent loin des considérations commerciales. Les gens s’essaient à la musique même si ce n’est pas leur activité principale. Ils essaient de voir ce qu’ils peuvent faire. Donc je passe souvent les chansons qu’on me donne. Ce podcast, c’est la même idée que les fanzines. L’authenticité avant tout.