(* Nick Hornby)
colonne parue dans Abus Dangereux # 129 / janvier 2014
Sans parler d’un climat « je suis votre fan numéro
un » comme dans le « Misery » de Stephen King, je parle de ceux
dont ça change la vie. Ceux pour qui Kurt Cobain a eu une résonnance dans la
construction adolescente, ceux qui se sont coiffés comme Robert Smith, ceux qui
ont essayé de picoler au même rythme que Lemmy avant de se rabattre sur le
straight-edge de Ian MacKaye pour tenter de survivre. Ok, historiquement, dans
la logique du fan, ce sont surtout les extrêmes qui ressortent. Ceux qui créent
des fan-clubs, et ceux qui les considèrent comme des bras armés de Satan ou des
aboutissements de la perversion de la société moderne. Il y a de grands
fan-clubs, encore aujourd’hui. Le concept ne rime pas forcément avec une
dévotion aveugle, c’est le sentiment d’appartenance qui résonne, aussi
underground soit-il. Frank Zappa avait
déjà ce truc où il tenait à disposition de ses groupies des trophées « Fucked
by Frank Zappa ». Il y a eu ensuite la Kiss Army qui, bien que terriblement
cool d’un point de vue de la pop culture des années 70, s’est avéré n’avoir
pour but que de vendre des lunch-boxes aux enfants.
Il y a eu le Misfits Fiend
Club dans les grandes années avec Glenn Danzig du groupe (le fan-club
existerait encore mais les dix membres sont fichés de la même manière que les
lecteurs de l’Attrape-Coeurs de JD Salinger, scrutés à la loupe car supposément
instables) et depuis des années, le plus illustre : la Turbojugend. Ce
fan-club de Turbonegro est identifiable par ses membres qui arborent des vestes
en jean aux couleurs de leur chapitre local. Plus
que de l’hystérie pure, les membres des turbojugends partagent une verticalité,
une discothèque et un style de vie. Old-school fans.
A l’inverse donc, les
détracteurs ont vu le jour au même moment que leur némésis. Dans les années 50,
les bonnes mères de famille brulaient les disques d’Elvis en place publique car
elles s’inquiétaient de cette société perverse qu’allaient devoir affronter
leurs filles. Dans les années 80, le flambeau puritain avait été repris par le
PMRC qui a collé des stickers « explicit lyrics » sur les CDs et qui
a intenté des procès aux groupes qui incitaient apparemment leurs fans à se
suicider aux Etats-Unis.
Le génial stand-up Bill Hicks en avait fait un
sketch :
« laissez moi
vous poser une question vite fait qui - à propos - n’a pas réussi à sortir lors
du procès : quel artiste veut voir son putain de public mort ? Je ne
vois pas le gain sur le long terme. A quoi pensent ces gars dans le
groupe ? ‘J’en suis malade, putain, ma-lade. Tout ce truc, les tournées,
se faire 40000 $ par soir, les drogues gratuites, l’alcool gratuit, les
limousines, les suites grand standing, les groupies me suçant du matin au soir.
Je suis dans une routine, et je veux en sortir, mec.’ Et ensuite il y a un show
à donner, ça craint ... à moins que ... ‘j’ai une idée, tuons le putain de
public. On va les tuer et ensuite on pourra revenir à nos jobs. On va pouvoir
vendre des chaussures à nouveau.’ Pourquoi le groupe ferait ça ?
Pourquoi ? ».
Ca pourrait faire sourire si Christine Boutin ne
prolongeait pas ce sentiment Deep South
aujourd’hui en militant contre le Hellfest. C’est drôle qu’ils fassent tous
cela au nom de la religion car ... mm ... Il y a ce prêtre brésilien qui a 162
tatouages Iron Maiden et qui fait ses sermons en citant des paroles du groupe. Il
rappelle qu’être fan se rapproche de la religion pure et simple. Et finalement
quelle est la différence ? Une tournée comme celle qu’on voit dans le
documentaire Flight 666 où Iron Maiden part jouer dans des coins souvent
ignorés du circuit habituel n’est-elle pas une forme d’évangélisation à
l’ancienne ? On voit un fan pleurer longuement parce qu’il reçoit une
baguette, on voit des gens quitter un travail précaire pour pouvoir être
présents, on voit des files d’attente de plusieurs jours pour pouvoir entrer
... on croirait presque à un vortex temporel qui recrée l’effervescence 50s.
Mais aussi la ferveur mystique.
Moi-même déguisé en Ace Frehley (Kiss). Je devais avoir 15 ou 16 ans |
On ne peut pas généraliser en parlant du fan, vu qu’on a
tous une expérience très unique du processus. Et en même temps, ces expériences
ont la vertu de nous pousser à nous unir à quelque chose de plus grand, une
communauté, le temps d’un concert ou plus durablement. Un genre de connivence
dans le brouillard, au détour de la photocopieuse de l’open space ou d’un PMU
perdu même pour le GPS. C’est un moyen aussi d’isoler ces gens un peu cools qui ont la
flamme de ceux qui ne sont pas totalement résignés à la roue libre culturelle.
On pourra entasser tous les disques qu’on veut pour faire du chiffre, aucun
n’aura la valeur de celui dont on a été tellement fan qu’on dormait avec à 14
ans. Ce n’est pas une histoire de cool car tu en as entendu des meilleurs
depuis, c’est une histoire d’investissement personnel. Même si ce disque, c’est
Marillion.