Ce qui est bluffant chez des groupes comme les Ramones, c’est cette persévérance qui emprunte à l’entêtement. Ces groupes monomaniaques, qui répètent à l’envi le même album, ne perdent jamais le cap. Les fans participent au processus, entre soutien indéfectible et garde-fou incorruptible. Si un album venait à changer de direction, les réactions seraient aussitôt épidermiques. Sur le tard, c’est ce qui était arrivé aux parrains de la ligne droite. Les Ramones avaient sorti un « Mondo Bizarro » par exemple qui sentait le genou à terre.
Ce qui est appréciable avec Fu Manchu, c’est le côté « Never Say Die ». Ne jamais renoncer. Ne jamais dévier. Le groupe de San Clemente s’autorise un demi-tour dans la ligne droite. Eux aussi ont eu leur « Mondo Bizarro ». California Crossing, 2001. Une production à l’assaut des radios, et Scott Hill qui ne digère jamais vraiment qu’on ait joué avec son pragmatisme. Au lieu de continuer comme si de rien n’était, et malgré le chemin parcouru depuis, le groupe décide de ressortir les démos originales, remixées par leur soin. Histoire de montrer que les intentions étaient bonnes et qu’eux n’avaient jamais changé. California Crossing ne sera jamais leur meilleur album, et ils ne le considèrent même pas comme tel, mais l’intégrité ne connaît pas de prescription de ce côté-ci du skate-board.
En plus de cet acte rédempteur que j’apprécie au plus haut point, Fu Manchu fait dans la verticalité. Proposés par mail aux seuls fans dans un premier temps, puis envoyés par Scott Hill lui-même (il a signé le bon des douanes). 2 stickers sont accrochés avec un sparadrap sur le vinyl, à la manière d’un adolescent qui torche son premier fanzine. De l’auto production pure, la pochette ne comporte aucun label. Puis le retard, les problèmes de slackers qui envoient un truc sur le vieux continent, les mails échangés au parfum « it’s ok, man. I think it’s somewhat fixed by now. » Fu Manchu a 20 ans cette année et se comporte encore comme un groupe de garage de banlieue white trash. Le vinyl a plus de poids. C’est mieux d’avoir 14 ans à plusieurs.
La petite histoire aussi, avec son lot de drama. Après la sortie de « In search of », Scott Hill est seul. Glass et Romano préfèrent le versant jams psychédéliques du stoner, Hill tient au format brut et non-extensible du hardcore. Ils partent et vont former Nebula. Après le split de Kyuss en 1997, Brant Bjork rejoint Fu Manchu. Avec les arrivées simultanées de Balch et Davis, le groupe trouve son line-up classique. Le plus efficace. En 2000, Brant Bjork veut partir faire son truc solo, et lâcher les baguettes pour empoigner définitivement la guitare. Il en parle depuis longtemps au groupe et n’aurait donc jamais du enregistrer ce disque, mais sa loyauté le fait rester tant que ses potes n’ont pas trouvé le remplaçant idoine. Il enregistre comme prévu, mais l’album sera défendu sur scène par l’ex-Smile Scott Reeder, toujours dans le groupe aujourd’hui, mais ironiquement sous la menace quotidienne de son homonymie avec le bassiste de Kyuss. Brant Bjork aura un peu été le Mick Taylor de Fu Manchu. Les Stones avaient sorti leurs meilleurs albums avec Taylor, finissant sur un contestable « It’s only rock’n’roll ». Brant Bjork aura participé grandement (plus qu’un simple batteur, c’est un compositeur très sûr) aux classiques du groupe « The action is go », Eatin’ Dust » et « King of the road » avant de partir sur un « California crossing » crève cœur pour les fans hardcore.
C’est étrange un meuble de disques parfois. On a tous des disques préférés, des disques qu’on évite car ils nous rappellent des sales moments, et des disques qui marquent des périodes de notre vie. Il y a aussi des disques qui comptent de pleins de manières comme celui-ci, sans qu’on les aime pour autant. Les histoires autour d’un disque font aussi partie du package sûrement, un peu comme cette connerie largement rebattue de silence après la musique qui est encore de la musique etc.
D’emblée, ce qui est marrant, c’est que la pochette de ces démos colle parfaitement au but recherché : oui, c’est le même disque, mais l’angle de vue est différent. Great !
Je ne vais parler que de ces versions démos, sans les comparer de façon fastidieuse avec celles sorties en 2001 et qui resteront dans la discographie officielle – quoique fasse Scott Hill.
Ce qui avait le plus choqué les fans à la sortie du disque, c’était le fait que certaines chansons avaient des refrains aux mélodies vraiment travaillées (Separate Kingdom, Thinkin’ out loud). Chose impensable pour le groupe. Pas de quoi le faire basculer du mauvais côté, même si la culture skate est très présente (Downtown in dogtown, Ride to live (live to ride) ). Le disque contient quand même deux énormes classiques du groupe : Mongoose et Squash that fly. C’est d’ailleurs à partir de California Crossing que Fu Manchu calquera inconsciemment son œuvre sur celle des Ramones. Road to ruin est l’exemple qui me vient là comme ça. Deux classiques par disque, deux ou trois chansons dans la lignée de ce qu’ils ont fait précédemment, histoire de faire le lien, et le reste de remplissage. Des slackers, on disait. Certains voient un charme inimitable là où d’autres verront de l’amateurisme grossier. Les chansons qui ont le plus bénéficié de cette ressortie sont sans problème Ampn’, California Crossing et Hang on (qui n’avait sur l’original aucun intérêt) même si le résultat est très présent mais plutôt diffus. C’est vraiment l’ensemble qui laisse une meilleure impression. Le disque a droit à son retour avec les honneurs dans la discographie monolithique du Fu.
Cool. J’ai réussi à parler du disque sans employer les termes exagérés de fan consterné, « skate punk » et « hard FM ». Auto-censure et âge de la maturité.
Last but not least: la vidéo de Squash that fly