lundi 14 octobre 2013

GHOST

Interview parue dans NOISE Magazine # 17

Il y a plus d’évocations du diable dans un seul album de Ghost que dans le Nécronomicon. Un Pape diabolique en frontman devant un crew de goules qui ne sont que des ombres : le concept est davantage nerd qu’une réelle émanation de satanisme cheap et premier degré. Les suédois perpétuent cette tradition scandinave qui voit les groupes afficher des références discographiques parfaites avec un package toujours bien foutu et sans fioriture. Le tout frais Infestissumam est une digression classy de la profession de foi qu’était l’excellent Opus Eponymous, sorti en 2010. Un résultat surprenant, mais définitivement exigeant.


Rencontre avec un Papa Emeritus en t-shirt et Converse, loin de ses standards de la scène où il est grimé en Pape super evil. Le gars est simple et passionnant, et il est vite évident que Ghost a été pensé plus comme un topo Ziggy Stardust que comme Gwar ou Kiss.



Il y a d’énormes changements de rythme entre les deux albums de Ghost. C’était ce que vous aviez prévu depuis le début ou c’est parce que le premier était fait de vieilles chansons et que celui-ci représente le son actuel du groupe ?
Sous un certain nombre d’aspects – en tout cas au niveau audio – il y a beaucoup de choses que nous avons réussi à faire sur Infestissumam que nous essayions déjà de réaliser sur le premier. Le tempo des chansons, les structures globales. Je dirais que c’est un problème du principalement au fait que Opus Eponymous avait été écrit sans qu’on ne le joue en live. Le second s’est fait après une longue période de tournée. On était plus aptes à voir quel genre de chansons manquait au set.
Sur Opus Eponymous, on pouvait entendre de solides racines black metal alors que sur celui-ci, les influences reconnaissables sont très différentes. Du coup, il y a une vraie ambiguité sur le point d’où Ghost est parti.
La naissance de Ghost tient à une seule chanson, « Stand by Him ». C’est parti comme une blague, vraiment. On a juste joué ensemble et le morceau a pris forme très rapidement. Les paroles aussi. « Wow, ça sonne comme un groupe de Shock Rock. Ce ne serait pas super cool d’avoir un groupe de Shock Rock ? » Et tout est venu dans la discussion : le Pape satanique, l’ambiance de films d’horreur. On s’est retrouvés avec quelques morceaux et là, on se demandait vraiment : « est-ce qu’on le fait ? Parce qu’on a tout le package et que c’est quelque chose que j’aimerais voir moi-même, en tant que public ». Je n’arrive pas à trouver un autre groupe qui fasse réellement la même chose. Ca semblait rafraichissant de monter un groupe qui écrit des morceaux contenant une part égale de pop et de métal. On a trouvé une formule qui combine ces deux choses sans donner de priorité à aucune. Je pense qu’il y a en effet des influences de black metal primitif sur le premier disque. Ca vient probablement du fait qu’au niveau des paroles, on a écrit tout l’album sans que personne ne les écoute. Loin de la scène comme je te le disais. Je ne dis pas que ces paroles ne sont pas bonnes ou qu’on ne les cautionne pas, mais si on les aborde sous l’angle « rock théâtral », il manque peut-être ce côté très clair qui élude un peu les interprétations plus profondes. Les groupes de Shock Rock ont toujours un premier degré très évident qui domine. Après la première tournée, on a constaté que les gens écoutaient très attentivement ce qu’on disait, et on ne s’y attendait pas. Pas dans ces proportions. Donc on devait davantage se concentrer sur cet aspect, créer un meilleur langage pour le groupe, être meilleur dans l’explication de ce qu’on voulait exprimer dès le premier album. On veut toujours exceller, on veut progresser, éclaircir notre idée de base.
Tu dis que les paroles de Opus Eponymous sont frustrantes pour toi aujourd’hui ?
Non non, je ne dirais pas « frustrantes ». Bien sûr, certaines choses auraient pu être meilleures, une rime par ci par là. Tu réalises ce genre de choses à force de jouer un morceau face à un public, sous le jugement abrupt du live. Mais je suis extrêmement fier de notre premier album, je ne changerais pas la moindre note. J’aimerais faire un pas, je ne veux pas dire en arrière, mais de côté, qui me donne un angle différent et qui me permet de voir ce qui manque à chacun de ces disques. Peut-être qu’Infestissumam ne contient pas assez de riffs de guitare. Peut-être qu’on devrait aller vers quelque chose de plus sombre pour le troisième album. Peut-être que la bonne formule pour le prochain est simplement une combinaison de ces deux disques.
Tu serais du genre à tomber sous le syndrome « George Lucas » et réenregistrer certaines parties du premier avant de le ressortir sous une forme 2.0, comme il a pu le faire de nombreuses fois avec Star Wars ?
Ah ah, je peux me permettre de t’assurer que nous ne ferons jamais ce genre de truc.



Tu penses qu’il y a un genre de malentendu ? Aujourd’hui, Ghost est affilié au milieu du métal à cause de son imagerie, mais le choix d’un chant clair ou d’arrangements classieux rendent les influences pop ou post-punk très présentes. 
Il y a quelques temps, on se comparait à Judas Priest. Comment classifier Sin after Sin ou Sad Wings of Destiny  ? C’est du Heavy Metal ? Bien sûr, mais il y a un tas d’autres éléments. Quelle est la bonne étiquette pour ça ? Et Sabbath Bloody Sabbath qui est très différent des autres disques de Black Sabbath ? Il y a des cordes, le groupe vire presque prog rock.
Je vois ce que tu veux dire, mais je faisais plutôt référence à la contradiction vis à vis du grand public. Combien de discussions a-t-on eu où on disait à des amis : « tu devrais écouter Ghost, c’est vraiment cool » et au premier coup d’oeil, les gars répondaient « wow, je pense que je ne vais pas aimer » parce que votre image reprend les codes du Metal obscur. Et au final, tous ceux qui ont écouté ont été très surpris de la musique. 
Ce n’est pas du Metal au sens moderne du terme, en effet. On n’est pas ce groupe parfaitement Hard Rock avec tout le topo caractéristique, la double grosse caisse qui tamponne etc. On manque de tous ces détails contemporains qui font le style, et c’est vrai, ça ne fait pas de nous un groupe de Metal à proprement parler. Mais au final, je m’en fous réellement. Je suis simplement heureux qu’on soit un des quelques groupes qui peut se permettre de faire de l’équilibre entre des styles très différents.
Vous brouillez les limites.
Oui, on peut jouer dans un festival Metal où les fans hardcore ne s’émeuvent pas de notre présence, ou dans des festivals plus mainstream comme le Pink Pop où le grand public n’est pas beaucoup plus bouleversé. Pour nous, c’est parfait car nous sommes avant tout de l’entertainment. On n’attend pas que les gens nous aiment parce qu’ils pensent qu’on sonne comme quelque chose d’autre. On veut qu’ils nous aiment parce qu’ils apprécient Ghost, pas parce qu’on leur rappelle vaguement Blue Oyster Cult, ou je ne sais pas.

Site THIS IS HORROR BUSINESS

 
Dans le milieu du Metal en particulier, il y a un bon paquet d’egos, et Ghost a fait le choix d’apparaître sans pouvoir être identifié. Est-ce que c’était le but de ce choix de l’anonymat ? Mettre les egos et les personnalités de côté pour que la musique et le groupe soient les vraies stars ?

Oui. Sur le plan créatif, Ghost est plus ou moins ce qu’on met sur la table, et c’est ce que tu racontais par rapport aux réactions de tes amis. On a senti très tôt qu’il y aurait cette contradiction. Mais aussi que ce ne serait pas aussi effrayant si les gens savaient qui on était. C’était beaucoup plus cool d’enlever nos visages de l’équation. Ce n’est pas grave au fond si les gens découvrent qui on est, si les rumeurs persistent etc. Il y a quelque chose de magique qui se produit quand tu portes un masque sur scène. Si tu vas voir le Fantôme de l’Opéra à Londres et que tu connais l’acteur qui va incarner le personnage, ce n’est pas grave : dès que le rideau s’ouvre, il est le Fantôme. Ok tu sais qui se cache derrière, mais tu adhères dès qu’il entre sur scène. Tu éludes l’acteur, tu es avec le personnage. Tout le monde sait aussi qui est Gene Simmons, il y a des millions de personnes devant son TV show Family Jewels, on sait tout de lui, mais quand il joue avec KISS et qu’il rentre sur scène en tant que Gene Simmons le monstre ... YEAH, ça marche. Bref, on n’a jamais vu ce projet comme un groupe punk-rock. On adore ça et on fait partie de ce milieu mais Ghost nécessitait une autre approche. On ne pouvait pas se permettre d’arriver habillés en toi et moi. Il fallait la grosse artillerie.
L’idée c’est que le groupe et le public jouent le jeu pendant une heure.
Jouer sur l’imagination, oui. Que ce moment permette de s’échapper un peu. Faire plus qu’un concert classique.
Tu compares l’initiative à celle de Gene Simmons. Tu te vois finir dans des comics comme KISS ?
Wow. Plus tu es populaire, plus tu as d’offres pour des choses diverses. Et il y a eu en effet des propositions pour faire ce genre de produits marketing. Pourquoi pas mais quel va être le sujet ? On est très réticents à aller dans cette direction, parce qu’il n’y a pas d’histoire derrière Ghost. Papa Emeritus est un concept, ce n’est pas un personnage de fiction. Tu ne peux pas dire « ok il est né à Trévise, il a fait ça et ça, il a tel âge ». C’est juste un stéréotype, un mix de gens aussi différents que Vincent Price, Al Pacino, Freddie Mercury et Hitler. Il est sensé être ce personnage à la Dracula ou le Fantôme de l’Opéra. Il n’y a pas d’histoire. Et est-ce qu’on veut aller dans cette direction, aujourd’hui ou demain ? Je ne sais pas, je ne vais pas te dire un « non » franc et massif mais il y a bien des raisons pour lesquelles on n’a pas exploré cette piste jusqu’à maintenant.
En parlant des comics, je voulais surtout parler de tout le côté marketing. Les comics avec KISS ont souvent été horribles en plus.
Oh oui ils l’étaient. Et ils faisaient appel à un autre public que celui qui se déplaçait traditionnellement aux concerts.



Est-ce que vous aviez un peu peur de faire de tels changements pour le deuxième album ? Opus Eponymous avait été encensé par la critique et s’était répandu très vite par le bouche à oreille parmi les metalheads. C’est courageux de ne pas vouloir répéter le même album et c’est la preuve d’une réelle exigence, mais est-ce que vous avez parlé des possibles conséquences de ce choix avant la sortie du disque ?
On a essayé d’exclure ce genre de débat de notre processus de création. Alors ça nous est arrivé d’y penser oui, dans les moments de faiblesse : à l’écoute, il nous est arrivé de nous demander « et si personne n’aimait le résultat ? ». Mais ça ne durait pas. On était dans une situation plutôt confortable, parce qu’au moment où on enregistrait l’album, toutes les chansons avaient déjà au moins un an. On les avait déjà entendues tellement de fois, on avait eu l’occasion de les jouer en petit comité aussi, et on savait que c’était différent mais que ça ne pouvait pas être véritablement « mauvais ». On aime les nouveaux morceaux et on pense vraiment que ce disque est cool. Les retours des gens à qui on l’avait joué allaient aussi dans ce sens. Alors il y avait un risque, mais on voulait être sûrs de sortir un disque qui était complètement honnête. Il est peut-être déstabilisant au premier abord, mais la plupart des albums que je préfère ne me sont pas apparus évidents au départ. Il y a de grandes chances qu’avec l’épreuve du temps, Infestissumam se révèle être une plus grande claque pour les fans que si on avait essayé de répéter trait pour trait notre premier disque. Je pense que le risque en valait la peine. Si tu écris un disque en te demandant ce que les gens attendent de toi, tu as probablement dans le faux et tu prends un autre risque : que les gens ne l’aiment pas du tout quand même, parce que tu n’as pas été sincère. On a juste voulu être exigeants et pousser l’identité Ghost plus loin dans ses retranchements, puis voir si les fans nous suivent. On est en train de travailler sur le troisième album et on garce ce même état d’esprit. On est conscients de toute façon qu’on ne sera pas forcément là très longtemps. Tout le monde pourrait se lasser de ce que nous faisons, parce que c’est très maximaliste. Donc on veut juste créer autant de qualité que possible tant que l’instant nous le permet et « pfiut ».
Tuer le groupe sur scène comme a pu le faire David Bowie ?
On tuera le groupe tant qu’il est sur la bonne pente. Après, on fera autre chose, on ne s’accrochera pas à ce seul projet. Ca demande du temps, un investissement total. Je serais aussi heureux de jouer de la guitare dans un trio punk demain. Ce serait une suite peut-être paradoxale mais qui me correspondrait totalement. Ghost n’est qu’un aspect de nos personnalités, ce n’est pas l’intégralité du tableau collectif. On envisage la fin du groupe de façon très confortable, on n’appréhende pas cela avec la peur du vide et on n’a pas envie de faire les choses à moitié non plus. Une proposition forte, délivrée avec intensité, c’est ce qui compte. On ira au bout mais on saura aussi mettre fin au concept avant que plus personne ne regarde dans notre direction.

dimanche 13 octobre 2013

Rebel without a clause


colonne parue dans ABUS DANGEREUX # 128


 

I hope I die before I get old *... Ouch, traîtres.
 * paroles de My Generation / the Who

CLONK. On a touché le fond. Ca n’a pas fait ce bruit-là, pour être historiquement correct. Ca a fait le bruit exact d’un clic de souris. Celui qui déclenche un lien sur Facebook, ou qui ouvre une news sur un site musical. Black Flag 1 porte plainte contre Black Flag 2 : le groupe le plus intègre de l’histoire reproduit finalement le vertige procédurier des groupes de stade. Greg Ginn attaque ses anciens partenaires pour utiliser le nom Black Flag pendant que lui-même relance le truc sur les routes du monde entier. Greg Ginn. Ce gars qui a poussé Black Flag à déstabiliser l’ordre établi, à bousculer son public en prenant sans cesse le contre-pied stylistique de ce que les fans attendaient, ce mec qui a écrit plusieurs chapitres d’une hypothétique Bible du Do It Yourself, ou même carrément du punk US ... ce mec trahit l’intégrité qui voudrait que Black Flag appartienne à une période restreinte où le groupe avait un propos qui tabassait juste, et pousse sa logique en attaquant au tribunal son groupe bis qui fait la même chose avec semblablement la même crédibilité.


Greg Ginn a cristallisé le gros ras le bol de voir les groupes légendaires traîner leur propre nostalgie molle sur les scènes rentables. Les Pixies, Black Sabbath, les Who, les Stooges, Blur. Attention, je coupe cette critique de ce qu’on peut penser d’un groupe à la base, je ne parle que de la démarche de se réunir et de dénaturer sa proposition pour de mauvaises raisons. Quel est l’intérêt de ces reformations ? Ça sent la naphtaline, le musée à la gloire de l’auto-complaisance. C’est quoi au juste ? Un genre d’Oedipe ? Il y un parallèle avec un remariage avec une ex, j’imagine : tu te prends à espérer que toute la magie des premières fois revienne dans le package, mais tu as juste face à toi un listing fatigué de déceptions qui sourit à travers l’affection sincère. Un dernier instantané de quelque chose qui est déjà mort.


Tout n’est pas que profit. Le bassiste Paul Simonon était par exemple très opposé à la réunion des Clash, dont il était question quelques jours avant la mort de Joe Strummer : « Mon point de vue est que si on avait du se reformer, ce ne pouvait être dans cet environnement institutionnalisé. Dans le projet qu’on nous a soumis, certaines places approchaient les 1000 $. Je pense vraiment que si les Clash avaient du se reformer, ça aurait été dans un endroit où une place ne coûtait pas ce prix-là ». Dave Davies aussi a toujours refusé une reformation des Kinks : « ça ternirait totalement l’héritage du groupe. Ce serait une vraie honte. Personne n’a envie de voir des vieillards stupides en chaises roulantes qui massacrent You Really Got Me ». Josh Homme a fait du bien à ses collègues maintenant qu’il les a interdit de tourner avec les frusques défraichies de Kyuss. Les gars se sont renommés Vista Chino et inconsciemment, on va arrêter de leur mettre un héritage sur les épaules. Une pichenette en guise de rappel au calme alors que le but n’était que de gagner un public facile. Comme les deux Black Flag. Kyuss était un projet commun de teenagers, dans le contexte sec du désert sud-californien, dans un ennui considérable et qui prenait la suite logique d’une scène existante. Sans vouloir forcer le trait intégriste, quel est le rapport avec cette reformation ? Josh Homme n’est plus là et pleins d’autres groupes copient aussi bien Kyuss (quelle blague des fois ce plan du stoner « regardez comme je suis intègre à l’idée originale je sonne exactement comme Kyuss ») que la version revival. Respectez vous les gars.



Les nouvelles scènes diluent leur proposition et c’est une faute, puisque le mainstream s’est tourné depuis des années vers l’electro et la culture du single. Le rock au sens large se retrouve cantonné à la marge. Encore. C’est cyclique. Alors les groupes qui tentent le come-back donnent l’impression de « reinjecter les vraies valeurs » mais c’est une trahison à tous les étages. Comment une offre spontanée, dûe à un contexte, à des personnalités, à une temporalité, peut-elle être intacte dans un autre contexte, à une autre époque et dans des rapports humains modifiés, ou même un line-up chamboulé ? Est-ce que Black Flag qui représente une réaction à la surenchère des 70s, a un propos viable en 2013 ?  On pourrait croire que la question ne s’adresse qu’aux vieux punks qui substituent encore et encore My War à n’importe quelle nouveauté, mais il existe un système de vases communicants avec un public qui est sans cesse poussé à regarder vers le passé. Aujourd’hui ou demain, la vraie question Facebook reste: "quel lien YouTube fera les likes les plus faciles? Cure, Fugazi ou les Smiths?". Le virus du c’était-mieux-avant.


Plus les revivals se succèdent, plus on perd la moelle de la copie originale. Partons des Beatles. Même quand les Monkees ont essayé de reproduire le topo, le goût paraissait artificiel à cause des additifs et des proportions industrielles. Dans le numéro 1 du fanzine punk Sideburns en 1977, il y avait ce dessin : «  This is a chord. This is another. This is a third. Now form a band. » Le truc avait de la résonance parce qu’il intervenait quand Emerson Lake et Palmer tentaient de faire rentrer leur 28e accord dans la même mesure. Mais l’idée a été intégrée jusqu’à ne plus avoir de sens et ça a sans doute participé à la chute totale du rock. Plus personne ne sait écrire une chanson, et quand ça arrive, le gars passe pour un génie absolu. Chaque groupe essaie de prouver qu’il peut être de plus en plus sale, de plus en plus « authentique » en désossant les lignes d’accord et la justesse du chant. Mais quand Kurt Cobain écoute les Beatles, il retient le travail sur les harmonies, pas l’art de dodeliner de Ringo Starr. La musique avant l’attitude. Avec Nirvana, il revient à la simplicité qu’il a appris des Melvins ou de Leadbelly après que le monde 80s ait enquillé de la soupe relayée à grand renfort de radio, mais c’est un trompe l’oeil : Kurt Cobain a des références bien digérées, sauf qu’il broie tout consciencieusement comme il l’a appris cette fois des Meat Puppets. Quand les suiveurs s’engouffrent dans la brèche grunge, eux ne savent jouer que trois accords et n’ont retenu que la leçon du délabrement minimaliste. Selon moi, il arrive la même chose à ces groupes qui font leur retour. Ils reproduisent le truc, sauf qu’ils oublient l’essentiel dans la recette : leur âme, qui servait de ciment à leur propos et qui en avait fait quelque chose de crucial. Après le chemin médiatique d’Iggy et sa pub pour SFR, qui considère encore les Stooges comme dangereux ? Les kids vont à ces concerts comme dans un musée, ils n’y vont pas parce que ça va changer leur vie ou parce qu’ils se reconnaissent dans le débraillement nihiliste teenager. La plupart y va pour gagner une pseudo-étiquette rock sur Instagram.

Picasso disait : « le besoin de détruire est créatif ». On admire tous ces mecs morts trop tôt car ils ne nous décevront plus jamais. Lennon restera toujours plus aimé que McCartney, alors que Paul n’a jamais rien fait pour flétrir sa légende. Il est juste vivant. On est les champions absolus du dézinguage d’idoles. La raison nous dit qu’il serait sûrement préférable de boycotter ces reformations, mais la musique est un état d’esprit insulaire. La nostalgie concurrence la curiosité. Dans le roman mélomane High Fidelity, Nick Hornby fixe les règles: « je suis très bon en ce qui concerne le passé, c’est le présent que je ne comprends pas ». Reste que quand tu auras perdu le cap et que tu seras au premier rang de la tournée 2013 d’un Black Flag, tu verras que ce postulat a deux lectures possibles. Ironique. Ce groupe t’a accompagné toute ta vie, mais même la plus cramée des vidéos vintage sur YouTube correspond plus à ton attachement qu’une tournée poivre et sel.