dimanche 13 octobre 2013

Rebel without a clause


colonne parue dans ABUS DANGEREUX # 128


 

I hope I die before I get old *... Ouch, traîtres.
 * paroles de My Generation / the Who

CLONK. On a touché le fond. Ca n’a pas fait ce bruit-là, pour être historiquement correct. Ca a fait le bruit exact d’un clic de souris. Celui qui déclenche un lien sur Facebook, ou qui ouvre une news sur un site musical. Black Flag 1 porte plainte contre Black Flag 2 : le groupe le plus intègre de l’histoire reproduit finalement le vertige procédurier des groupes de stade. Greg Ginn attaque ses anciens partenaires pour utiliser le nom Black Flag pendant que lui-même relance le truc sur les routes du monde entier. Greg Ginn. Ce gars qui a poussé Black Flag à déstabiliser l’ordre établi, à bousculer son public en prenant sans cesse le contre-pied stylistique de ce que les fans attendaient, ce mec qui a écrit plusieurs chapitres d’une hypothétique Bible du Do It Yourself, ou même carrément du punk US ... ce mec trahit l’intégrité qui voudrait que Black Flag appartienne à une période restreinte où le groupe avait un propos qui tabassait juste, et pousse sa logique en attaquant au tribunal son groupe bis qui fait la même chose avec semblablement la même crédibilité.


Greg Ginn a cristallisé le gros ras le bol de voir les groupes légendaires traîner leur propre nostalgie molle sur les scènes rentables. Les Pixies, Black Sabbath, les Who, les Stooges, Blur. Attention, je coupe cette critique de ce qu’on peut penser d’un groupe à la base, je ne parle que de la démarche de se réunir et de dénaturer sa proposition pour de mauvaises raisons. Quel est l’intérêt de ces reformations ? Ça sent la naphtaline, le musée à la gloire de l’auto-complaisance. C’est quoi au juste ? Un genre d’Oedipe ? Il y un parallèle avec un remariage avec une ex, j’imagine : tu te prends à espérer que toute la magie des premières fois revienne dans le package, mais tu as juste face à toi un listing fatigué de déceptions qui sourit à travers l’affection sincère. Un dernier instantané de quelque chose qui est déjà mort.


Tout n’est pas que profit. Le bassiste Paul Simonon était par exemple très opposé à la réunion des Clash, dont il était question quelques jours avant la mort de Joe Strummer : « Mon point de vue est que si on avait du se reformer, ce ne pouvait être dans cet environnement institutionnalisé. Dans le projet qu’on nous a soumis, certaines places approchaient les 1000 $. Je pense vraiment que si les Clash avaient du se reformer, ça aurait été dans un endroit où une place ne coûtait pas ce prix-là ». Dave Davies aussi a toujours refusé une reformation des Kinks : « ça ternirait totalement l’héritage du groupe. Ce serait une vraie honte. Personne n’a envie de voir des vieillards stupides en chaises roulantes qui massacrent You Really Got Me ». Josh Homme a fait du bien à ses collègues maintenant qu’il les a interdit de tourner avec les frusques défraichies de Kyuss. Les gars se sont renommés Vista Chino et inconsciemment, on va arrêter de leur mettre un héritage sur les épaules. Une pichenette en guise de rappel au calme alors que le but n’était que de gagner un public facile. Comme les deux Black Flag. Kyuss était un projet commun de teenagers, dans le contexte sec du désert sud-californien, dans un ennui considérable et qui prenait la suite logique d’une scène existante. Sans vouloir forcer le trait intégriste, quel est le rapport avec cette reformation ? Josh Homme n’est plus là et pleins d’autres groupes copient aussi bien Kyuss (quelle blague des fois ce plan du stoner « regardez comme je suis intègre à l’idée originale je sonne exactement comme Kyuss ») que la version revival. Respectez vous les gars.



Les nouvelles scènes diluent leur proposition et c’est une faute, puisque le mainstream s’est tourné depuis des années vers l’electro et la culture du single. Le rock au sens large se retrouve cantonné à la marge. Encore. C’est cyclique. Alors les groupes qui tentent le come-back donnent l’impression de « reinjecter les vraies valeurs » mais c’est une trahison à tous les étages. Comment une offre spontanée, dûe à un contexte, à des personnalités, à une temporalité, peut-elle être intacte dans un autre contexte, à une autre époque et dans des rapports humains modifiés, ou même un line-up chamboulé ? Est-ce que Black Flag qui représente une réaction à la surenchère des 70s, a un propos viable en 2013 ?  On pourrait croire que la question ne s’adresse qu’aux vieux punks qui substituent encore et encore My War à n’importe quelle nouveauté, mais il existe un système de vases communicants avec un public qui est sans cesse poussé à regarder vers le passé. Aujourd’hui ou demain, la vraie question Facebook reste: "quel lien YouTube fera les likes les plus faciles? Cure, Fugazi ou les Smiths?". Le virus du c’était-mieux-avant.


Plus les revivals se succèdent, plus on perd la moelle de la copie originale. Partons des Beatles. Même quand les Monkees ont essayé de reproduire le topo, le goût paraissait artificiel à cause des additifs et des proportions industrielles. Dans le numéro 1 du fanzine punk Sideburns en 1977, il y avait ce dessin : «  This is a chord. This is another. This is a third. Now form a band. » Le truc avait de la résonance parce qu’il intervenait quand Emerson Lake et Palmer tentaient de faire rentrer leur 28e accord dans la même mesure. Mais l’idée a été intégrée jusqu’à ne plus avoir de sens et ça a sans doute participé à la chute totale du rock. Plus personne ne sait écrire une chanson, et quand ça arrive, le gars passe pour un génie absolu. Chaque groupe essaie de prouver qu’il peut être de plus en plus sale, de plus en plus « authentique » en désossant les lignes d’accord et la justesse du chant. Mais quand Kurt Cobain écoute les Beatles, il retient le travail sur les harmonies, pas l’art de dodeliner de Ringo Starr. La musique avant l’attitude. Avec Nirvana, il revient à la simplicité qu’il a appris des Melvins ou de Leadbelly après que le monde 80s ait enquillé de la soupe relayée à grand renfort de radio, mais c’est un trompe l’oeil : Kurt Cobain a des références bien digérées, sauf qu’il broie tout consciencieusement comme il l’a appris cette fois des Meat Puppets. Quand les suiveurs s’engouffrent dans la brèche grunge, eux ne savent jouer que trois accords et n’ont retenu que la leçon du délabrement minimaliste. Selon moi, il arrive la même chose à ces groupes qui font leur retour. Ils reproduisent le truc, sauf qu’ils oublient l’essentiel dans la recette : leur âme, qui servait de ciment à leur propos et qui en avait fait quelque chose de crucial. Après le chemin médiatique d’Iggy et sa pub pour SFR, qui considère encore les Stooges comme dangereux ? Les kids vont à ces concerts comme dans un musée, ils n’y vont pas parce que ça va changer leur vie ou parce qu’ils se reconnaissent dans le débraillement nihiliste teenager. La plupart y va pour gagner une pseudo-étiquette rock sur Instagram.

Picasso disait : « le besoin de détruire est créatif ». On admire tous ces mecs morts trop tôt car ils ne nous décevront plus jamais. Lennon restera toujours plus aimé que McCartney, alors que Paul n’a jamais rien fait pour flétrir sa légende. Il est juste vivant. On est les champions absolus du dézinguage d’idoles. La raison nous dit qu’il serait sûrement préférable de boycotter ces reformations, mais la musique est un état d’esprit insulaire. La nostalgie concurrence la curiosité. Dans le roman mélomane High Fidelity, Nick Hornby fixe les règles: « je suis très bon en ce qui concerne le passé, c’est le présent que je ne comprends pas ». Reste que quand tu auras perdu le cap et que tu seras au premier rang de la tournée 2013 d’un Black Flag, tu verras que ce postulat a deux lectures possibles. Ironique. Ce groupe t’a accompagné toute ta vie, mais même la plus cramée des vidéos vintage sur YouTube correspond plus à ton attachement qu’une tournée poivre et sel.









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