Les motards de
l’Apocalypse
Black Rebel Motorcycle Club sort un album tous les deux ou
trois ans. Tu aurais probablement du mal à dire le nom du dernier, ou alors à
dire si tu as aimé celui d’avant. La plupart des gens n’ont écouté que les deux
premiers, de toute façon. Mais une chose est indiscutable : ce groupe a
une intégrité solide, un pragmatisme old-school et pas mal de choses à dire.
Rencontre avec le guitariste Peter Hayes.
interview publiée dans ABUS DANGEREUX # 130
Vous avez toujours
cette attitude rugueuse et minimaliste. Vous vous tenez loin du glamour et de
la hype. C’est un moyen de choisir votre public soir après soir ?
Il n’y a pas de plan de ce genre. Mais il y a eu trop d’abus
dans la hype et la gloire, je crois que c’est de là d’où vient la perte du
respect de son propre art. Vivre dans l’excès, s’acheter une veste à 2000 $...
ça n’a pas grand chose à voir avec le discours d’origine d’un groupe de
musique.
Quand les critiques
parlent de vos influences, je suis toujours surpris qu’on ne parle que de
musique et qu’on laisse de côté tout votre environnement ciné et littéraire.
Votre nom, vous êtes apparus dans le film « Nine Songs », votre dernier album reprend pour titre une
citation de Shakespeare ...
On emprunte beaucoup aux supports qui nous intéressent,
c’est vrai. C’est plus une volonté de montrer notre reconnaissance qu’un manque
d’idées. C’est toujours dans un souci d’appartenance. On tient compte de ceux
qui nous ont influencé, et on apporte notre propre personnalité. On n’affirme
pas faire quelque chose de nouveau.
Comme un condensé de
vos références et une piste pour la prochaine génération.
C’est dangereux d’être le résultat de tes références. Nos
albums ont toujours été plutôt différents, il n’y a pas cette envie de rester
bloqués sur un constat d’influences. C’est un concept particulier,
l’inspiration. Tu n’es pas autoguidé par tes références. C’est plus une
connexion avec les mots d’autres gens, ou une peinture, une façon de penser
dans un contexte différent. Le sentiment que tu n’es pas tout seul, alors même
que tu crées tout seul. On est une combinaison de nos influences, on ne peut
rien faire contre ça, mais je pense que ça devient un problème quand on ne se
sert plus de cet acquis pour avancer et développer sa propre proposition.
Stagner, c’est l’ennui total.
Vous êtes un groupe
plutôt old-school, avec un rythme des sorties de disques plutôt lent et la
volonté d’aller toujours vers une dynamique d’album, sans ne jamais céder à la
culture actuelle du single. Est-ce que BRMC est vraiment adapté à 2014 ?
Ah ah. Non. Mais je m’en fous un peu, pour être parfaitement
honnête. On a envie de se tenir loin de l’agitation actuelle, du buzz
perpétuel. Il y a beaucoup trop d’informations et ça devient déstabilisant.
Tout ça manque du recul nécessaire. Et ça donne du poids à un sentiment global
d’égoïsme, d’individualisme. C’est facile de taper sur les réseaux sociaux,
mais c’est le mec qui a inventé le miroir qui a foutu le bordel. Un élément
vraiment parasite dans le développement de l’Humanité, ah ah. Charles Allen
Gilbert avait peint ce tableau : All
Is Vanity. C’est une femme qui est assise devant son miroir, et la
silhouette globale de l’ensemble a une forme de tête de mort. C’est un résumé
valable.
Est-ce que vous vous
inscrivez dans un message aux nouveaux groupes ? Genre « allez-y à la
cool, revenons tous ensemble vers une industrie qui nous ressemble ».
C’est sûrement plus dur aujourd’hui qu’il y a dix ans. La
musique est majoritairement gratuite, il y a une culture du single qui avantage
les produits marketés. Mais c’est une bonne chose au fond, car les groupes qui
se lancent doivent vraiment avoir envie de faire de la musique ? L’époque
exige de la persévérance et des idées claires. On n’est plus dans une époque où
tu te pointes, tu encaisses un montant extravagant pour un tube et tu te
vautres dans ta piscine pour le restant de tes jours. On n’a pas de message
réel, à part peut-être : « fais le à ta façon et applique toi »,
mais ça ne concerne pas forcément que les musiciens. Ca marche aussi pour les
mécaniciens ou les cuistots. On s’inscrit dans une plus grande tradition
éthique que vraiment dans un genre de corporation de rock stars. C’est juste
une question d’amour propre, vraiment.
Vous êtes maintenant
sur votre propre label, tout le monde semble dire que c’est le début du bonheur
pour un groupe. Il y a cette image persistante de groupes ballottés par les
majors et qui grognent dans l’ombre, loin des décisions et des choix
artistiques.
Tu sembles perdre toute ta crédibilité et ton intégrité
quand tu signes sur une major, alors on est d’abord allés sur un label
indépendant. Mais c’est une blague parce qu’il finit par être racheté par une
major, qui lui laisse son nom pour garder la crédibilité. Mais c’est un décor
factice, c’est un ramassis de mensonges structurels un peu absurdes. Les labels
te signent et dès le premier jour menacent de se débarrasser de toi. « Ok
allez-y, peu importe ». Si c’est pour se retrouver sur un autre label
indépendant géré par une major, quelle est la différence ? On ne fait pas
très attention à cette distinction indie-major, ni si c’est tel label plutôt
que tel autre, parce qu’au bout du compte ce n’est pas le label qui représente
le Mal absolu, c’est le musicien. C’est lui qui cause son manque d’éthique,
c’est lui qui ne sait plus où il va, qui perd le contrôle ou son ambition
d’origine. Tu ne peux pas blâmer un label pour ça.
Quand j’ai écouté le
dernier album, Specter at the Feast,
j’ai pensé à Tonight’s the Night de
Neil Young. Je ne savais pas alors que le père de Robert était mort (NdR :
backstage, pendant que le groupe était sur la scène du Pukkelpop) et que ça
avait conditionné l’enregistrement. (NdR : Tonight’s the Night avait aussi
été marqué par le deuil, et les sessions s’étaient faites dans des conditions
psychologiques assez extrêmes). L’album a la même gravité, la même émotion tout
en équilibre, la même catharsis en fait.
Il peut y avoir un poids sur ce disque, mais la vie est
parfois très sérieuse. On n’a jamais été un groupe festif non plus, après tout.
J’y vois pas mal d’espoir, de mon côté.
La différence est
qu’habituellement, vous étiez des musiciens qui jouaient de la musique sombre,
et que ce coup-ci, vous étiez probablement des gens sombres qui jouaient de la
musique sombre.
Dit comme ça, tu as probablement raison alors. C’est vrai.
Il y a une connexion entre son coeur et sa musique. Et c’est quelque chose de
dangereux aussi, parce quand tu connais l’histoire des musiciens qui ont fait
de grands albums à vif, tu hausses les sourcils et le premier truc qui te passe
par la tête, c’est « oh bordel». Tu as raison, c’est certainement l’album
qui a la touche la plus authentique et biographique dans la façon de jouer.
Il y a un truc
intéressant avec BRMC. Leah Shapiro n’est pas « cette fille dans le
groupe », c’est juste « le batteur ». Personne ne semble noter
si c’est une fille ou un gars. Tu y vois le signe que les choses changent dans
le rock, alors que c’était traditionnellement un milieu assez sexiste ?
On n’était pas dans cette démarche précise. Quand Nick Jago
est parti, on se demandait juste si on devait garder le même nom. Le seul moyen
était de trouver quelqu’un qui collait parfaitement à la formule, et pour être
honnête, on n’avait personne d’autre en tête. Elle s’est adaptée dès le premier
jour et on ne s’est pas trop penchés sur le fait que des gens fassent la
distinction ou pas. J’ose espérer que tout le monde s’en tamponne. Après,
est-ce que les choses avancent à ce niveau-là dans le rock ? Je dirais que
oui, mais probablement pas assez vite. Les proportions restent minces. Et les
raisons sont toujours ridicules. Les gens disent « il faut être physique
pour jouer de la batterie » ou d’autres topos plutôt illégitimes. Patti
Smith était une légende chez les punks. Je crois que c’est un bon contre-argument.
BRMC – Specter at the
Feast (Vagrant Records/ PIAS)