lundi 11 juin 2012

Mark Lanegan : the man who wasn't there


Interview publiée dans le numéro 123 d'Abus Dangereux
Une immense silhouette vient nous chercher dans l’obscurité de la salle. Le corps fumant et éreinté d’un rescapé. La scène de Seattle, le grunge, appelez ça comme vous le voulez. Mark Lanegan est sain d’esprit, sa modestie le tient loin des scandales de diva et il traverse la pièce pour que vous ayez une bonne chaise quand vous êtes prêts à commencer l’interview. Le gars est en fait trop normal et érudit pour postuler au panthéon du rock. Il laisse son travail parler pour lui. Une oeuvre majeure gardée secrète. Une carrière absurde d’intégrité. Un pied dans le punk, l’autre dans la case minimisée des artistes à part. Sur scène, il reste accroché à son micro et au pragmatisme sans fioriture. La rédemption est au bout de chacun des arrangements, la perdition se tient en embuscade au début du suivant.

 Ce titre, « Blues Funeral », c’est pour décrire ta nouvelle direction, plus électronique, moins organique ?
Je n’ai jamais eu l’intention de suggérer quoi que ce soit, je laisse ça à l’appréciation de chacun. Je n’ai jamais à chercher à décrire les choses que j’ai faites. Je préfère que les gens qui écoutent l’album trouvent leur propre moyen de s’y connecter.
La pochette du disque semble être le contraste parfait de celle de Bubblegum, qui était noire. C’est parce que tu avais peur d’écrire un Bubblegum, part 2 ?
J’ai déjà essayé d’écrire un « part 2 » pour des chansons avant, mais pas cette fois, non.
C’était quand ?
Quand j’ai écrit « Field songs » (NdR : 2001), j’ai essayé de faire un second « Whiskey for the Holy Ghost », mais je n’étais pas dans cet esprit quand j’ai commencé à enregistrer cette fois-ci.



 
Il y a un son très spécial sur « Blues Funeral ». Est-ce que ça correspondait à ce que tu voulais avant d’entrer en studio ou est-ce que c’est plutôt la touche Alain Johannes (NdR : producteur et membre de QOTSA, Eagles of Death Metal – déjà producteur de Bubblegum en 2004) ?
Je n’avais pas de son particulier en tête, j’ai juste écrit ces chansons et quand on est entrés en studio, elles ont eu leur vie propre. J’ai sollicité Alain sans réfléchir, car on a déjà fait Bubblegum ensemble. Il comprend toujours très vite ce que j’essaie de faire et il a cet enthousiasme incroyable qui rejaillit sur les gens avec qui il travaille. C’est un partenaire vraiment précieux.
Tu as perdu les démos que tu avais faites pour cet album et tu as du reprendre tout le processus d’écriture à zéro. Est-ce que tu sens que la genèse de cet album est spéciale dans ton cursus ?
J’avais déjà commencé un album en partant de rien. C’était l’album que j’aime le moins, « Scraps at Midnight » (NdR : 1998). Désolé pour ceux qui aiment ce disque. Ce n’est pas la même situation cette fois. D’habitude, j’ai des cassettes où j’empile des idées ou des chansons que je n’ai pas retenues pour les disques précédents. L’essentiel de l’album est toujours composé de chansons complètement neuves, mais ces démos me servent à démarrer tout le processus en quelque sorte, à me mettre dans le bon sens. Pour « Scraps at Midnight », je n’avais rien. J’avais des démos mais il n’y avait absolument rien d’exploitable dessus. Si c’est unique dans mon histoire personnelle, c’est à ce niveau-là : j’ai fait la même chose, mais cette fois, j’ai aimé le résultat.
A l’époque du mp3 et de la culture du single, étais-tu dans un état d’esprit où tu créais un album, ou as-tu pensé chanson par chanson?
Je pense toujours en terme d’album, mais je traite un morceau à la fois. J’ai commencé par travailler sur deux chansons : l’une d’entre elles était de toute évidence faite pour ouvrir l’album, et l’autre sonnait comme l’avant-dernière. J’avais une trame et il me restait à « remplir » le reste des cases. Une chanson me dit souvent ce à quoi la suivante doit ressembler.


 
Tu es quelqu’un qui n’a pas d’étiquette. Je veux dire, tu as traversé les années grunge, tu as gravité autour de la scène du désert (NdR : QOTSA et les Desert Sessions), tu as chanté avec Isobel Campbell, tu as participé à des projets avec les Soulsavers et Greg Dulli et tout ce travail est resté très personnel, a su rester indépendant de toute influence majeure. Quel est ton secret ?
C’est un des trucs les plus sympas qu’on m’ait dit, merci. Je fais juste ce qui me semble le plus approprié dans les situations auxquelles je suis confronté. Quand je travaille sur le disque de quelqu’un, j’essaie avant tout de voir ce qu’on fait à travers ses yeux à lui, et je modifie mon apport pour qu’il s’ajuste à notre vision commune. C’est ce qui me paraît important. Je vais toujours dans le sens du projet. C’est juste ma vision du bon sens.
Tu apprécies le travail collectif parce que tu n’aimes pas te mettre en avant, ou pour l’émulation que ça crée ?
Même mes albums solo sont des collaborations. Je ne peux pas jouer de tous les instruments, et collaborer avec d’autres musiciens, c’est ce qui conserve mon intérêt intact pour la musique.
La plupart de tes invités sur Blues Funeral et Bubblegum viennent de la scène stoner. Tu te vois comme une partie intégrante de cette scène ou comme un invité permanent ?
Je connais ces gars depuis mal de temps maintenant. Chris Goss a enregistré un de nos disques en 1996 (NdR : Dust), et j’ai commencé à jouer avec Josh Homme la même année (NdR : il a été guitariste des Screaming Trees pendant deux ans après le split de Kyuss). Ce sont les mecs avec qui je traîne quand je ne suis pas sur la route ou en studio. Pour moi, c’est juste la continuité de nos relations. Je vois la musique qu’on a joué ensemble comme les archives de notre amitié. On se comprend vite, on s’entend bien, on a des références en commun. Et puis ils ne peuvent pas refuser, ce sont mes amis.


Après 25 ans de carrière, je crois bien que t’es destiné à l’underground. Ca te convient ?
Je n’ai jamais eu de plan. Au début, je voulais faire un disque. Quand ça a été fait, je ne pensais pas que quelqu’un l’écouterait, pour être honnête. Encore aujourd’hui, je suis très surpris que les gens écoutent encore les quatre premiers disques, ils ne sont pas très bons. Je me suis toujours senti privilégié d’avoir pu continuer à jouer de la musique, d’être assis encore aujourd’hui avec toi à parler de ma musique. Je m’étale. La réponse courte à ta question est : oui, je suis très content.

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