Colonne publiée dans Abus Dangereux # 127
En 1981, Bobby Sands et quelques leaders d’opinion
catholiques croupissent en prison, mais quelque chose a changé : ils n’ont
plus le statut de prisonnier politique, Thatcher ne leur reconnaît plus cette
dimension et les traite comme de simples criminels. Sands et son crew vont
entamer une grève de la faim jusqu’à ce que ce soit réparé. Thatcher ne
répondra jamais et les laissa - lui et neuf autres - mourir sans sourciller.
L’activiste Danny Morrison la décrira comme « the biggest bastard we have ever known ». Thatcher a perpétué
une tradition radicale vis à vis de la situation en Irlande du Nord. Les Troubles
ont duré de 1969 à 1997 en faisant 3600 morts : un Beyrouth occidental à
une heure d’avion de Paris. En 1972, le Bloody Sunday voit l’armée anglaise
tirer sur une manifestation pacifiste à Derry. Entre 1979 et 1990 où elle était
premier ministre, Thatcher n’a mené aucune négociation autre que la répression.
Si tu enlèves le glam à New York, la fantaisie à Londres et
le sourire à Manchester, tu as Belfast. Oh, il y a d’autres musiques nées d’un
contexte difficile : les Stooges ont imaginé l’agression crue du punk à
Detroit, Judas Priest et Black Sabbath ont généré la lourdeur tellurique du
heavy metal à l’ombre des usines de Birmingham ... Ce qui aurait pu être
rédhibitoire pour toute expression parasite se révèle être un tremplin abrupt
pour exorciser sa rage.
On ne tire pas sur le pianiste, uh. Aucun risque ? Pas
en Irlande du Nord, un coin bien plus dur que le far west mais où les comptes
se règlent aussi sur la chaussée. En 1975, avant la vague punk, le Miami
Showband, un groupe de Dublin composé à la fois de catholiques et de
protestants est massacré sur la route après un concert. Le groupe n’était en
rien engagé politiquement et leurs shows étaient décrits comme du pur
divertissement pour buveurs de bières. Le décalage entre la violence des tueurs
et la jeunesse et la naïveté des musiciens en a fait un des actes les plus
choquants de cette période. Dès que l’histoire a été en une des journaux le
lendemain matin, c’est facile d’imaginer que ¾ des groupes d’Irlande du Nord
ont splitté et revendu leurs instruments.
C’est dans ce climat que – nageant à courant contraire –
naît la scène punk nord-irlandaise. En France, c’est ce fameux concert d’août
1977 des Clash à Mont-de-Marsan qui a allumé la flamme punk. C’est curieux de
constater qu’il s’est passé la même chose là-bas, comme un dénominateur commun
dans des sociétés très différentes. Sauf qu’en France, le concert a eu lieu. Le
show des Clash au Ulster Hall en octobre a été annulé par la police avant même
qu’il ne démarre. Rage ouvrière, détermination primaire. Tous les futurs
piliers de la scène étaient là et l’impact culturel a été distribué à coups de
matraques. L’union s’est bâtie sur ce concert qui n’existe officiellement pas,
relançant le vieux credo ouvrier « us and them ». Ce contexte
d’émeutes, rien qui ne ressemble plus à un premier rang de concert punk.
L’intensité du quotidien laisse peu de place au côté soft ou à la
procrastination : ce jour pourrait bien être le dernier, les kids.
Dans des villes emmurées en quartiers hermétiques comme
Belfast et Derry, aucune sortie n’est anodine. Les zones catholiques et
protestantes sont enchevêtrées au lieu d’être clairement partagées. C’est une
source de conflits quotidiens. En 1977-1979, les concerts punks étaient les
seuls endroits où les deux confessions se mélangeaient sans aborder le problème
sectaire, ou sans même qu’il se pose. Protex, Rudi, les Outcasts, les Stiff
Little Fingers ou les Undertones tuent la fatalité à coup de distorsion, et
vont bientôt déborder sur la scène punk de l’autre côté du Royaume Uni. La rage
qui déborde de ces groupes se reconnaît dans ces Clash qu’ils n’ont pas vu,
mais oblige les autres groupes anglais à s’aligner. Impossible d’ignorer ces
gars, le grand John Peel les passe en boucle sur BBC Radio 1.
Les Undertones jouent leur « it’s going to happen » à Top of the Pops comme leur classement
dans les charts les y autorise, avec un brassard noir en hommage au décès tout
frais de Bobby Sands. C’est sur la BBC à une heure de grande écoute. « Everything goes when you're dead /
Everything empties from what was in your head / No point in waiting today /
Stupid revenge is what's making you stay / It’s going to happen - happen - till your change your mind». Les
Stiff Little Fingers chantent leur désaccord en plein feu, sous les yeux de
l’armée britannique : how punk is that ? Ca demande d’autres couches
de tripes d’ouvrir un magasin de disques ou de faire un concert quand la menace
est constante, coincé entre les attentats et l’armée britannique plutôt zélée.
Alors ne parlons même pas de l’ouvrir sur LE sujet tabou pour son entourage,
pour sa confession, pour ses ennemis, pour les autorités. « They take away our freedom in the name of
liberty / Why don't they all just clear off / Why won't they let us be »
chantent-ils dans Suspect Device.
Quand un single sort à Belfast, les 45 révolutions par minute du disque
prennent leur sens le plus littéral.
A une époque où le gouvernement a essayé d’écraser une crise
politique et humaine, la musique a fait en sorte que les spots soient pointés vers
les flammes. Ca ne s’est pas fait dans le coton. « They won’t break me because the desire for freedom is in my heart »
disait Bobby Sands. Peut-être l’Irlande du Nord a-t-elle offert la forme la
plus pure d’intégrité punk de l’histoire du mouvement, dans un autre climat que
l’a fait le label SST et à l’opposé de la pose pseudo-skater qui a revendiqué
le terme plus tard.
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