C’est dur de se faire une place quand on est une femme dans ce ghetto parfois misogyne qu’est le rock à guitare. Il faut être deux fois meilleure. Si un groupe de mecs fait dans la pose et le cliché, c’est ok, on l’ignore. Si c’est un gang de filles, tout le monde crie à l’incompétence. Well. La question est celle-ci : combien d’artistes majeurs a-t-on loupé juste parce que c’étaient des femmes ? A quel point ces filles auraient été des légendes si elles avaient été des mecs ?
Ok les kids, n’inondez pas le courrier des lecteurs. Ce
n’est ni un Top 5 au mérite, ni une liste exhaustive. C’est juste un amas de
meufs à qui on n’a pas filé assez de crédit. Plusieurs aspects de l’existence
de la fille dans la jungle paternaliste qu’est le rock. Plusieurs de ces
moments où une fille a changé la suite de l’histoire, aussi.
colonne publiée dans Abus Dangereux # 136 - juillet 2015
Sister Rosetta Tharpe
« the original soul sister ». Rosie chante du
gospel reconditionné selon son caractère perso. En 1944, elle fait le crossover
décisif et enregistre strange things happening every day, seule avec sa voix et une guitare électrique.
L’establishment religieux ne la cautionne pas, les adolescents oui. Le début
d’une longue histoire pour la musique de ce type. Sa caution rock aussi. De
leur propre aveu, elle a influencé ceux sur lesquels on fixe l’année zéro du
rock : Little Richard, Johnny Cash, Elvis Presley et Chuck Berry. Un
précurseur chez les pionniers, quoi.
Sylvia Robinson
Virgina Woolf disait : « au cours de l’Histoire, ‘anonyme’ a toujours désigné un effort féminin ».
Sylvia Robinson a produit le premier hit de rap : rapper’s delight de Sugarhill Gang. Huit millions de copies
vendues. Elle a inspiré des millions de plus qui ont imité ses choix, puisque
le hip-hop a longtemps tenu sur cette recette précise. Elle a ensuite co-écrit the message de Grandmaster Flash. Pour
rigoler.
Kim Gordon
La détermination sous forme de normalisation. Car Kim Gordon
n’est pas une « fille », c’est juste un membre de Sonic Youth comme
les autres. Ca paraît être un constat à la limite du stupide en 2015, mais en
1981, c’était la première. Kim n’était ni la star glamour mise en avant par la
promo, ni une groupie cantonnée à l’ombre.
Yoko Ono
L’archétype de la personne qui cristallise un problème, même
faux, et qui ne finit plus par représenter que ça. Yoko Ono est la femme qui
est venue mettre le bordel dans un groupe. Le groupe en question était
légendaire, l’exposition du problème a donc été optimale. Et c’est ensuite
devenu une légende urbaine, une brique à part entière de l’Histoire du Rock.
Courtney Love a pris sa place dans l’imaginaire collectif dans les 90s, dans le
même schéma surexposé. On peut penser que les Beatles étaient juste rincés.
Comme l’était Nirvana, qui reposait sur trois slackers qui ne demandaient qu’à
jongler entre ironie et anonymat underground. La théorie de la mante religieuse
a permis de faire un autre constat : il est aussi difficile pour les
filles de se faire une place dans la presse musicale que dans le rock. Du coup,
qui se souvient de l’apport avant-garde de l’artiste Yoko Ono ?
Dusty Springfield
Quand Dusty Springfield enregistre sa référence Dusty in
Memphis en 1968, elle n’avait jamais enregistré
avec un producteur extérieur, Jerry Wexler imposé ici par Atlantic. Elle a
alors longtemps été traité de femme caractérielle, mais lui raconte une toute
autre version dans son autobiographie Rhythm
and Blues : « je
n’avais jamais travaillé avec quelqu’un qui était autant à la recherche de la
perfection. Les sessions ont été un vrai challenge pour moi. J’avais commencé à
travailler sur les morceaux. Dusty en a approuvé exactement zéro. Pour elle,
dire oui à la fin d’une chanson était vu avec l’intensité d’un engagement à
vie. » Dusty Springfield avait autoproduit
avec succès tous ses disques précédents, ce pour quoi elle n’avait jamais
demandé aucun crédit, mais ce qui est notable dans le contexte. Elle qui venait
d’une famille très catholique de Grande-Bretagne
(son vrai
nom est ostentatoire : Mary Isobel Catherine Bernadette O’Brien)
a fait son coming out après
avoir gagné le très difficile marché US. Elle a aussi suggéré à Atlantic de
signer Led Zeppelin. Le label n’en avait jamais entendu parler et les a signé
sans jamais les voir ni les écouter, simplement sur l’avis de Dusty
Springfield. C’est ce que j’appelle
gagner sa crédibilité.
L7
Festival
de Reading, 1992. Donita Sparks du groupe L7 balance son tampon hygiénique dans
la foule en réponse aux projectiles que le public envoyait sur le groupe. Le
magazine Spinner a élu ce moment « L’anecdote la plus dégoûtante de
l'Histoire du rock ». En 1995, pendant Nulle Part Ailleurs et en direct
sur Canal +, c’est Jennifer Finch qui essaie de détruire à la fois le plateau,
le glamour du Festival de Cannes et la tiédeur des mecs qui pensaient être
underground mais qui aimaient surtout la playlist RTL2. Probablement le live le
plus décadent de l’histoire de la télé française.
The Blossoms
En 1962, les Crystals sont les égéries du producteur Phil
Spector. Ce dernier, en visite dans les bureaux de Liberty Records, entend une
chanson déjà promise à Snuff Garrett, qui veut la faire enregistrer par Vikki
Carr. Phil Spector s'empresse de rentrer à Los Angeles pour sortir le single
avant celui de Vikki Carr. Seulement, les Crystals sont en tournée sur la côte
est. Spector embauche alors les Blossoms, un groupe de choristes souvent
utilisés par les grands groupes sur scène ou en studio, pour se substituer aux
vraies Crystals le temps du disque. Dès sa sortie le disque est propulsé numéro
un, et les vraies Crystals découvrent bouche bée "leur" nouveau
single à la radio. Surtout le groupe a du ajouter tout de suite la chanson à
son répertoire sur scène. Le problème étant que la chanteuse lead, Barbara
Alston, ne pouvait pas imiter le chant habité de la blossom Darlene Love. La
chanson He's a rebel est
aujourd'hui citée comme exemple des productions féminines de Phil Spector. Les
Blossoms, elles, ont été défrayées comme des musiciens de studio. Darlene Love
a bien essayé de faire valoir ses droits par la suite, mais Spector a toujours
répondu: "C'est ma musique, vous n'êtes rien sans moi." Les Blossoms
sont quand même passées à la postérité puisqu'elles figurent comme choeurs dans
le célèbre '68 Comeback Special qu'Elvis Presley avait enregistré pour la NBC.
Jayne County
« Are you man
enough to be a woman ? » chantait Wayne/Jayne. Après avoir été actrice à la Factory
d’Andy Warhol, il/elle participe en 1969 aux émeutes de Stonewall à Greenwich
Village, protestant contre la violence policière à l’encontre des gays.
L’événement est souvent perçu comme le point de départ de la libération
homosexuelle et du mouvement moderne aux US. Il/elle crée ensuite Wayne County
and the Electric Chairs et influence la scène punk de 1975 à New York, des
Ramones à Patti Smith, ou des mecs au radar bien affuté, comme David Bowie ou
Lou Reed. Il/elle assume finalement sa transsexualité et change son nom
définitivement en Jayne. Ce qui ne l’empêche pas de se battre sur la scène du
CBGB avec Dick Manitoba, ex-catcheur et chanteur des Dictators.
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