mardi 1 mars 2016

Live Real or Die Trying

Le moment le plus important de la vie de ton groupe est la première minute.

Colonne parue dans Abus Dangereux # 137 



Et si le mal qui touche les groupes se jouait dans la première demi-heure de leur existence ? Trois, quatre ou cinq personnes se retrouvent dans une cave et on se dit qu’avant de prononcer le moindre mot, les possibilités sont infinies. Tout est envisageable et il n’y a aucune pression ni aucune attente. La plus folle des innovations est possible, il n’y a pas la moindre putain de barrière. Aucun contrat de major n’attend à la porte, ni à l’inverse, ne t’oblige à sortir un disque de platine calibré pour la radio. Alors je pose la question : qui est assez con pour s’auto-brider dans ces conditions ? La réponse ressentie depuis des décennies est « mm, plus ou moins tout le monde ».

C’est vrai pour les groupes du monde entier en réalité, mais nous en France, on a une entrave supplémentaire : on a le « complexe français », la déconnexion du flux musical mondial. Et au lieu d’en faire du fuel pour un challenge d’outsider, du panache jemenfoutiste, on orchestre ce défaut pour qu’il devienne structurel. Un groupe qui veut « réussir » (établissant ainsi un parallèle entre la subjectivité musicale et un bordel pragmatique comme HEC ou le CAC40) va pouvoir bénéficier d’un accompagnement. Il y apprendra principalement à remplir des papiers de subventions et à concourir pour remporter des radio crochets. Il y fera aussi des « résidences » où il apprendra comment gérer une scène de la même façon que ses prédécesseurs. Ensuite, il bénéficiera de la législation sur les quotas radio qui sévissent en France et qui promet plus d’exposition aux groupes du territoire. Sans trop regarder où se situent leur qualité sur le mappemonde international. Sans trop regarder non plus s'ils sont raccords avec les lieux qui créent ou fortifient les tendances, ailleurs.









Je comprends parfaitement ce raccord au sentiment d’appartenance, ce besoin de se connecter à une famille, mais c’est un résultat finalement très impersonnel pour essayer de pécho une caution quelconque à travers un discours qui n’est pas le sien. Il faudra à un moment réaliser que la nostalgie du revival, c’est quand même un peu particulier. C’est dire haut et fort que tu es plus fasciné par un instantané au vernis épais que des gens ont vécu/imaginé il y a des plombes plutôt que par ce que toi tu peux créer de nouveau aujourd’hui, ou vivre par tes propres moyens, plus largement. Tu admires des gens qui ont innové et tu imites chacun de leur détail en étant aussi dans le contexte que 50 ans de retard le permettent. Le seul truc gratifiant que tu devrais recevoir, c’est une moue paternaliste et une tape empathique dans le dos. Peut-être même un secouage de tête lent et empathique. Soyons clairs : une démo aux codes formatés laisse deux options, soit elle a été écrite en 1986, soit elle mérite d'y retourner par le portail du temps qui semble ouvert au fond de ma poubelle.

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Peu importe le genre de discours d’intention que je suis en train de faire ici. Il suffit finalement de consulter les chiffres, d’ausculter les faits : franchement, et c’est une question plus pragmatique que pessimiste, que restera-t-il de la musique des 2010s ? Est-ce qu’on retiendra vraiment cette indie pop qui court après le gimmick ver-d’oreille pour cachetonner dans des pubs de voiture ou d’assurance ? Cette recherche de l’apparition TV, identifiable en 2 secondes et déjà condamnable à la moitié ?





 


Il n’est pas question de dire « c’était mieux avant ». A priori c’était loin de l’être. Mais c’est davantage un appel à se remettre à l’endroit, dans le grand pragmatisme de l’activité musicale. Il faut instaurer un recul, s’inspirer des groupes DIY à la Black Flag ou Minor Threat. Personne n’attendait rien de ces kids au départ, personne ne leur a non plus donné de crédit. Personne ne leur a offert de contrat d’édition, ne leur a filé de thunes pour booster leur carrière. Ils ont écrit des morceaux, ont pressé des disques par leurs propres moyens puis ils sont montés dans un van et ont fait des tournées qu’ils ont eux-même bookées. C’est un exemple. Pas de misérabilisme et de flagellation spartiate, chaque expérience est personnelle et il n’y a pas une manière unique de bien faire. Par contre, quand on a recours à Ulule ou KissKissBankBank comme on demanderait de l’argent de poche à ses parents : « ouin ouin, j’ai envie de faire un disque, donnez moi des sous », on n’est pas dans la bonne file de l’autonomie qui assure l’indépendance créative à tous les étages. Ca tient plus de la tombola à la kermesse de CM1 qu’à l’expression créative brute. Va jouer, amasse les cachets pouraves et quand tu y auras ajouté 10% de ton argent de poche pendant 6 mois, presse ton disque et vends le aux concerts. Respecte ta production. Les grands monuments du rock étaient suivis parce qu’ils proposaient un truc nouveau  - et qu’ils étaient dingues – pas parce que leur business plan était impeccable.

Musique française, redeviens sauvage. Rugis au petit matin dans la steppe, plutôt que de te comporter en animal mis en cage, baillant dans un zoo à attendre qu’on remplisse ta gamelle. Redémarre à zéro. Prends le parti de te tamponner de ces conseils sur le look ou la scénographie. Mets plus d’intensité sur scène que de temps à web-manager ta page facebook. Et commence par ce truc si fondateur pour la suite : écris un morceau avant de penser à le vendre.



 

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