La mort de Scott Columbus le 4 avril m’a fait ressortir mes CDs de Manowar. Le batteur jouait sur ce qu’il appelait les « drums of doom », un kit renforcé, en acier, car sa technique était trop violente pour les kits standards, qu’il fallait remplacer à une fréquence absurde. Si c’est pas vrai, on s’en tamponne pas mal, l’anecdote permet de comprendre où on met les pieds.
Bref, j’ai remis les CDs dans le lecteur. Plus que le besoin d’aller batailler à l’épée lourde contre des barbares anachroniques, ça m’a refait penser à mon adolescence heavy metal. J’avais envie d’en parler dans le blog, avec une ironie teintée d’affection, mais je n’ai jamais trouvé l’étincelle.
Puis cette étincelle est venue en deux temps ces derniers jours. D’abord, cette photo.
Je veux dire, tu ne peux pas rester sans rien écrire sur une photo comme ça. Un condensé de toutes les limites qu'a dépassé le groupe. Toutes rédhibitoires dans la plupart des cultures modernes.
Deuxième étincelle, ce matin. Je mets une sélection Manowar chuchotée à l’oreille par mon moi de 14 ans et file sous la douche. Louise à portée d’oreille me hurle alors : « non mais sans rire, ils sont bas du front ces mecs ».
Beh ouais !!
J’adore démonter les a priori dans ce blog, mais je ne peux rien pour Manowar. C’est assez fascinant de voir à quel point ce groupe sait aller plus loin que les a priori sans en avoir rien à foutre. Tu crois que c’est des relous ? Ils vont t’expliquer qu’ils sont de GROS relous. Tu penses qu’ils sont concernés par l’heroic fantasy ? Ils vont enfiler des peaux de bêtes et brandir des épées en mousse. Le groupe tombe dans le cliché « on y va à fond » du heavy metal teenager. Sans dérision, premier degré.
Le groupe naît juste après la sortie de Conan (1981), le film qui fait connaître Arnold Schwarzenegger. Trip héroic fantasy et peaux de bêtes. Le film fait un flop mais traumatise une poignée de gars. Certains se mettent aux jeux de rôles, d’autres soulèvent de la fonte du matin au soir. Les deux sont infréquentables.
Première ambiguité du groupe, il est très surprenant d’y voir Ross Funicello, le guitariste des Dictators, le groupe punk ’75 des grandes heures du CBGB avec Handsome Dick Manitoba, le chanteur-catcheur. J’imagine que si on avait une réponse claire à cette étrangeté, ça n’aurait plus d’intérêt et ça contribue donc au côté fascinant. Comme les Ovnis. Bref, des soli sans trop d’imagination, tous les symptômes de la branlette technico-acrobatique. Doigts 1 – mélodie 0.
La deuxième ambiguité sans réponse est la présence d’Orson Welles en tant que narrateur sur deux chansons : « Dark Avenger » en 1981 et « Defender » en 1987. Même réflexion que précédemment. C’est comme si Iggy Pop faisait partie de Slayer pendant que François Truffaut taillait la bavette en intro. Même si on n’accroche pas, ça peut intriguer.
Pour la ligne de conduite globale, on reste dans le même thème tout le temps : du métal épique et seuls contre le monde entier ! (PS : meufs = putes)
D’ailleurs on ne peut qu’applaudir le choix de Ken Kelly pour illustrer la plupart des pochettes d’albums. Le gars s’était fait connaître pour une passion abrutissante pour l’univers Heroic fantasy. Le mec tournait en boucle quand Kiss est venu le voir pour la pochette de Destroyer.
Ken a beaucoup d’imagination et quand Manowar vient le chercher, il leur sort une pochette complètement novatrice.
Ken Kelly se répète en fait beaucoup, beaucoup. Remarquez le goût avéré du dessinateur pour l’égalité des sexes.
Les mœurs avaient changé depuis Love Gun et il a fallu quelques ajustements pour éviter le comité de censure de Tipper Gore. Dans Spinal Tap, le groupe a aussi un problème de pochette pour son album Smell the glove où une femme est nue et à quatre pattes, tenue en laisse…
Ian Faith : They're not gonna release the album... because they have decided that the cover is sexist.
Nigel Tufnel : Well, so what? What's wrong with bein' sexy?
Bobbi : You put a « greased naked woman » on all fours with a dog collar around her neck, and a leash, and a man's arm extended out up to here, holding onto the leash, and pushing a black glove in her face to sniff it. You don't find that offensive? You don't find that sexist?
Ian Faith : This is 1982, Bobbi, c'mon!
Bobbi: That's right, it's 1982! Get out of the '60s. We don't have this mentality anymore.
Ian Faith: Well, you should have seen the cover they wanted to do! It wasn't a glove, believe me.
Pour l’album the Triumph of Steel (1992), ce bon vieux Ken Kelly détourne donc la menace en pliant la pochette :
Il y avait ça à la vue de tous dans les rayons :
A la maison, on pouvait déplier la pochette pour voir de quoi parlait KK :
Après 1988, Ross the Boss n’est plus là et Manowar embauche de vrais guitaristes typés métal. Game Over. Un pseudo-tripoteur à la Yngwie Malmsteen d’abord, puis un crypto beauf qui joue encore aujourd’hui.
En 2003, Manowar avait rassemblé sur cette chanson tous les musiciens qui avaient fait un jour partie du groupe. Trois guitaristes, trois batteurs. Le dernier refrain où tout le monde headbange n'aura jamais besoin d'être caricaturé. (Note: Ross the Boss est le guitariste à droite, avec une Gibson noire qui fait des moulinets à la Pete Townsend)
Manowar pose le vrai problème de l’attachement aux choses. Je vois ça comme un savant alignement entre des périodes données: de la musique, de la société et de nos propres vies.
Voilà pourquoi les fans de Manowar ont tous au moins 35 ans.
La minute littéraire
En fait, Ken n’est pas le seul à se répéter. Comme le disait le mec sur la photo du début, certains mots reviennent souvent.
Top 10 des mots dans les chansons de Manowar :
1. Metal
2. Steel
3. Fire
4. Battle
5. Fight
6. Sword
7. King
8. Blood
9. Brother
10. Kill
Ce sont parfois les paroles qui reviennent plusieurs fois.
Kings of Metal (1988)
Don’t try to tell us that we’re too loud
Because there ain’t no way that we’ll ever turn down
All Men Play on Ten (1984)
All men play on ten, never gonna turn down again
Metal Warriors (1992)
Got to make it louder, all men play on ten
Et l’inspiration se pioche dans un passé lointain. George Orwell parlait de réinventer son passé au mépris des souvenirs dans 1984. « Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. » Bon, à part qu’Orwell n’aurait sûrement pas suggéré de calquer une des chansons les plus connues des fans pour accomplir son forfait.
Heart of Steel (1988)
Stand and fight
Live by your heart
Always one more try
I'm not afraid to die
Stand and fight
say what you feel
Born with a heart of steel
Call to arms (2002)
Fight for the kingdom bound for glory
Armed with a heart of steel
I swear by the brothers who stand before me
To no man shall I kneel
Their blood is upon my steel
Pour finir, car on ne peut décemment pas parler de paroles sans évoquer leur qualité, j’aimerais vous offrir un florilège des meilleures méditations de Manowar.
« Heavy metal or no metal at all. Whimps and posers, leave the hall »
Metal Warriors
« I need metal in my life just like an eagle needs to fly »
Die for metal
« The gods made heavy metal and they saw that it was good. They said to play it louder than hell, we promised that we would »
The Gods made heavy metal
« One Louder ! »
Toujours dans son délire teenager, jouer plus vite, plus fort … bref, jouer typiquement la musique qui rend fous les parents, Manowar s’est toujours fait un honneur de battre des records absurdes.
En 1984, le Guinness Book vient glorifier le groupe de « loudest performance ». 139 dB que le bouquin qualifie de « painfully loud ». Le groupe le dépasse une fois et le Guinness Book décide de supprimer cette catégorie pour ne pas inciter à la surenchère qui aurait pu mettre en danger le public. Juste pour rire, Manowar battra encore son propre record. Au cas où.
En 2008, après avoir apparemment cherché 24 ans une catégorie du Guinness qui pouvait leur convenir, le groupe a décidé de donner le « plus long concert de heavy metal » … Cinq heures et une minute, en Bulgarie.
Death to false metal !