vendredi 22 avril 2011

MP3 Vs. Musique

Article publié dans le Abus Dangereux # 118 // Mai 2011

En 2004, iTunes renonce à la vente de la chanson « Silence » de Sonic Youth. 63 secondes de pur silence. Le seul moyen d’obtenir le morceau était d’acheter l’album entier (NdR : the whitey album – 1988). Ecrire du silence est au moins aussi intentionnel qu’écrire une chanson sonore, semble-t-il. Le placement des micros devient peut-être un peu moins problématique. Cela pose surtout la question de la compatibilité entre culture d’album et format mp3. Par association d’idée tordue, cela pose la question de sa compatibilité avec la musique.



"Somebody was trying to tell me that CDs are better than vinyl because they don't have any surface noise. I said, "Listen, mate, life has surface noise." – John Peel

Eternel débat du support audio. L’évolution de celui-ci a influencé à la fois la façon de créer la musique et la façon de l’écouter. D’objet adulé quand on devait encore commander les 45 tours dans les années 60, et attendre pour les écouter, il a laissé la place à l’immédiateté interchangeable du mp3.

Même apologie du single. Même traitement intemporel de l’unité. L’avènement du mp3 l’a consacré comme le fils naturel du 45 tours, au moins dans l’esprit. Mais là où le 45 tours a amené le jukebox, le mp3 a engendré le iPod. La communauté contre le repli individuel.

Rappel vintage. Lancé par RCA en 1949, le nouveau format va changer jusqu’aux habitudes des radios où les DJs vont se l’approprier. En parallèle, les jukebox s’introduisent dans les bars, et touchent en plein cœur la culture adolescente. Début 1955, le 45 tours devient le support historique du rock’nroll et contribue à l’essor de la musique au sens moderne du terme. Les artistes ne raisonnent pas encore en albums et enregistrent chanson sur chanson pour meubler les tournées incessantes. Dans les années 70, le punk cherchera à revenir à cette spontanéité et fondera le mouvement sur le même format. Quand on n’a pas de futur, on prévoit sur le court terme.

Sam Phillips de Sun Records aurait-il été connu pour son travail d’orfèvre sur bande, ce son riche et chaud, si Elvis avait été voué à sortir des morceaux en mp3 ? Maintenant, du coup, on enregistre sur ordinateur et la barre espace est le détail le plus sexy de tout le « studio ».




C’est aussi le rôle de la musique qui a changé dans la société. Je veux dire, personne ne sort un disque en espérant devenir juste un prétexte cheap pour passer le temps dans le tramway. La musique est réduite à un échantillon quotidien d’entertainment pour la masse ou un bruit de fond dans une boutique fashion.

On parle partout de musique dématérialisée. L’écoute du vinyl est tout le contraire. On lit la pochette, on pose le vinyl sur la platine, on pousse le bras, la spirale se met à tourner, ça rape, ça cliquette. Il y a en fait tellement de bruits que l’écoute tourne au dialogue. Le mp3 est à portée d’un simple clic, sur un menu qui labellise tout ce qu’il ingurgite. L’abondance contre le précieux de la rareté, de l’unité qui compte. Un peu la différence entre offrir une rose à Paris Hilton et à cette fille qui n’en a jamais reçu auparavant.

On te vend le 320 kbps comme le luxe du mp3, la Rolls-Royce de la compression de fichier, l’argument qui réhabilite le support, mais le mp3 reste le cauchemar du format audio.




En fait, c’est surtout en terme d’identification que le mp3 a dévissé. Il y a tout le côté influence et perennité. Ton frère looké Robert Smith te passait un 45 tours dont la pochette allait influencer ta garde-robe des cinq prochaines années. Combien de cuirs rouge et noir se sont vendus après que Michael Jackson en ait fait sa pochette? Maintenant, ça se passe comment ? Par clé USB ? Ok, la mode Justin Bieber vient d’un buzz jpeg. Mais le teenager 45 tours voulait exister individuellement. Le teenager mp3 veut simplement appartenir au flux RSS du buzz de demain. Devenir un clone viral et ne pas décevoir en attendant d’avoir du goût.



A l’époque de la surface, il semble difficile de lancer une vague culturelle. Un mp3, un jpeg et une page wikipédia, pas très fiable si elle est courte, peu attractive si elle est longue, ne permettent pas de fédérer les kids. On se dirige soit vers le côté entertainment for dummies, soit vers un retour brutal vers les groupes locaux et le bac des auto-productions. Rétropédalage or bust.

Le but n’est pas de s’opposer au progrès, mais au fait qu’il semble s’accompagner d’une défection pour le contenu. Car s’il est aujourd’hui face au mp3, le vinyl a longtemps été opposé au CD.

Il ne s’agit pas de céder à une bonne vieille nostalgie. Le vinyl est souvent le raccourci de la lutte de l’indépendant contre le mainstream de supermarché, symbolisé par le CD ou le mp3. Eloge du beau contre la production commerciale. Ce serait pourtant une erreur de généraliser ce genre de propos puisque des labels très undergrounds s’appuient sur les CDs ou les cassettes sans dévoyer le propos.

La majorité de notre éducation musicale s’est de toute façon faite à l’aide de CDs. CDs dont on nous a servi quatre générations car la première était d’une qualité inavouable, éditée à la va vite pour que les gens rachètent tous leurs vinyls sur ce nouveau format. La deuxième, c’était du « oubliez ce premier CD, maintenant on prend le temps et on sort un son adapté » … ainsi de suite, jusqu’aux remasters et digipacks anniversaires. J’ai cinq versions différentes de Dark Side of the Moon en CD les mecs. Chaque fois, on m’a dit que je faisais le deal du siècle.

Le vinyl a laissé sa place au CD simultanément au fait que les disquaires ont laissé leur place aux grandes surfaces. Evolution de la musique ? Continuité du format audio ? On a pu noter le peu d’affectif envers l’objet, et le CD semble être le grand perdant de l’ère du téléchargement. Le vinyl se lit de l’extérieur vers le centre, le CD se lit dans le sens inverse. Freud y aurait vu un sacré symbole.



En juillet 2009, Apple (encore) a lancé une nouvelle section sur iTunes, les « 45 tours numériques ». L’idée est de vendre deux morceaux à un prix réduit, en reformant certains 45 tours célèbres. Par exemple, le 45 tours numérique de Michael Jackson, « Billie Jean », contient aussi « Can’t get outta the rain » et est vendu 1,29 € plutôt que 1,98 €. Certains sont même vendus avec le pdf de la pochette originale. On dirait du Monty Python dans le texte.

Le site y va de son commentaire : « l’idée est amusante, mais au-delà de ce petit coup de nostalgie, on retrouve la limitation de l’époque qui était justement qu’on ne pouvait pas choisir le morceau de la face B, généralement un morceau de moindre importance sur l’album. Une impossibilité qui, à l’époque d’iTunes, serait très facile à résoudre. » (source : igeneration.fr)

Tout le cœur du problème est dans cette appréciation. La rentabilité plutôt que la passion, ne garder qu’une sélection élitiste et facile plutôt que creuser et adopter le comportement monomaniaque du fan. Evacuer les fioritures, le non-indispensable alors que c’est souvent là où se définit un groupe. Par là même, on ne garderait des White Stripes que Seven Nation Army en effaçant de la liste tout White Blood Cells dont le son ne se marie pas bien avec le mp3 de son brand new iPod ? Plus généralement, injecter de la nostalgie cheap dans un média futuriste est au mieux une névrose impérialiste du 2.0


Bien sûr, la musique doit se re-inventer, puisqu’elle ne peut plus se calquer sur le modèle économique du 45 tours. Les teenagers écoutent du gratuit et les maisons de disque noient le mainstream et la TV unique de gens choisis sur casting. Une carrière se fait aujourd’hui dans Elle, pas dans le NME. Ce sont donc les labels indépendants qui feront avancer le débat, s’ils survivent.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire