La nostalgie a rattrapé ce billet. J’ai commencé à chercher
un sujet le 3 février, avant de m’apercevoir que c’était le jour où Buddy Holly
s’était crashé entre la neige et ses promesses non tenues. De fil en wiki, je
me suis senti investi d’un devoir de mémoire. A quoi ça sert de chercher le
prochain truc si plus personne ne se souvient d’où ça a commencé ?
Billet publié dans Abus Dangereux # 122
Une de mes premières expériences avec la musique a été cette
mixtape abandonnée près de la hi-fi, que je m’étais appropriée. Elle m’a laissé
penser de nombreuses années que ‘You shook me all night long’ était de Rod
Stewart. Le gars qui avait fait la compil m’avait aussi affirmé avec aplomb que
le meilleur groupe de l’histoire était Queen.
Mais ma révélation musicale s’est passée au cinéma. Ma mère
m’avait amené voir « la Bamba » en 1987. Quelle terrible idée de
faire un film sur ... Ritchie Valens !? « Hey j’ai chanté la
Bamba et j’étais le moins connu des mecs morts ce jour-là». C’est la première
fois que j’ai eu connaissance de Buddy Holly et ce film m’avait passionné à
cause de cette évocation très brève. Ma mère a vu le truc et a voulu marquer le
coup. Elle m’a offert le 45 tours de Los Lobos qui chantaient la chanson titre...
Ce qui m’a plu dans l’idée, c’est que ce mec n’était pas à
sa place. Les grosses lunettes etc. En plus d’un nom extraordinaire. Un mec qui
s’en sort dans un contexte si différent de ce qu’il est naturellement doit
savoir un truc que tu ne sais pas.
Ok, il peut paraître désuet aujourd’hui, mais il faut se
remettre dans le contexte. 1954 est souvent considérée comme l’année de naissance
de la musique moderne, en ignorant la musique noire qui s’est fait tout voler
et le bluegrass hillbilly qui avait la faveur du public et des médias avant
« that’s alright Mama ». Elvis a créé quelque chose qu’on ne pourra
jamais lui enlever : la ferveur et l’intérêt teenager. Mais Buddy Holly
est allé plus loin, il a modifié l’ADN dans le génome musical. On lui doit
d’avoir assuré cette transition entre le rock’n’roll « Elvis » et la
pop « Beatles ». L’équivalent en musique de ce moment dans l’humanité
où un triton est sorti de l’eau et a essayé de marcher. Il a initié une pop
éloignée du standard rockab. Pour la majorité des gens, les Fab Four ont été le
début de tout, l’origine de la musique d’après rockab 50s. Mais qui les a
influencé? Buddy Holly. Le plus petit dénominateur commun. Les Beatles ont
choisi ce nom à cause de ses Crickets, et McCartney a racheté les droits de son
catalogue quand celui-ci était menacé d’être récupéré par des gens moins
scrupuleux.
Noir sur blanc, ce gars a un bilan intemporel qui a tout du
tableau d’honneur d’une légende indé. Il écrit ses propres morceaux alors que
la plupart des singles de l’époque sont des reprises de standards, il garde la
main sur le son en studio et il utilise des instruments a priori peu adaptés au
rock'n'roll, ce qui prouve son avance sur son temps en cette époque où toute
l'industrie du disque semblait immuable. Il double la piste de voix, ce qui a
influencé John Lennon, qui a lui-même influencé Kurt Cobain. Got it ?
Surtout, il a une façon de jouer de la guitare très inhabituelle dans le
paysage US et il ne faut pas
négliger l’utilisation peu académique de la batterie (les roulements de
Peggy Sue, son absence totale sur Everyday). Il instaure le format groupe qui
prévaudra dans le rock, avec deux guitaristes, un bassiste et un batteur et met
en avant l’utilisation d’une guitar solid-body (la Fender stratocaster) en
pleine âge d’or de la demi-caisse. Il est programmé dans les salles (Apollo) ou
sur des tournées réservées aux afro-américains.
Beaucoup de premières fois dans
un climat difficile (et on parle du Texas, en bonus). Même la mort tragique
renforce le trait. Et puis « Four Eyes » a autant influencé le rock
que les opticiens. Pas mal de hipsters veulent le look Buddy Holly alors qu’ils
sont branchés sur Deezer electro depuis leur naissance. Ses lunettes ont eu le
même message que le punk vingt ans plus tard. Les stars avaient souvent un look
irréprochable, à l’apogée du cool option bad boy. Mais quand Buddy est arrivé
avec ses lunettes, les gars qui n’étaient pas dans le moule ont osé se lancer,
en se disant que le rock n’était pas que pour les mannequins et les caïds du
lycée. Ce n’est pas moi qui lance cette hypothèse en l’air, c’est John Lennon.
Beaucoup retiennent que les derniers mois – sans les
Crickets rentrés à Lubbock, Texas – avaient été marqués par des accompagnements
symphoniques qui laissent spéculer sur l’évolution qu’il aurait connue. Ce que
je préfère retenir, ce sont ses ‘Apartment Tapes’, la première expérience
lo-fi. Deux mois avant sa mort, il se retrouve seul dans son appartement à New
York. Il achète alors un enregistreur et y rentre les démos de nouvelles
chansons. Seul avec sa guitare. Assis sur son canapé. Après sa mort, sa femme
tombe donc sur 14 chansons laissées dans leur jus. Les producteurs récupèrent
ces bandes et font des overdubs avec un groupe de session pour les sortir
rentablement en disque. Les enregistrements bruts ont longtemps été un secret
bien gardé. Ces bandes très personnelles ont reçu un écho complémentaire l’an
dernier quand des grands noms se sont retrouvés sur un album hommage – Rave On. Les Black Keys, She and Him,
Patti Smith, Florence and the Machine, Julian Casablancas , les Detroit Cobras,
Nick Lowe, Modest Mouse ou Lou Reed : un line-up étonnamment indé et
représentatif d’époques très différentes (Graham Nash croise CeeLo Green pour
le grand écart ultime). Les derniers moments de Buddy Holly qu’on peut résumer
comme seul avec sa guitare, puis dans le froid nocturne de l’Iowa. Une
renaissance publique grâce à un collectif hype. Dans mon monde, on appelle ça
la justice.
Est-ce que tous les fils de charpentiers font parler
d’eux ? Ca va à l’encontre de la théorie de la reproduction sociale mais
historiquement ça se tient. Ce qui est accablant, c’est que Charles Hardin
Holley a fait tout ça avant ses 22 ans. Quel héritage aurait-il laissé s’il
était seulement mort à ... well ... 27 ans, comme le mythe qu’on nous rabâche à
longueur de Philippe Manoeuvre ? Il y a un peu de Buddy Holly dans chaque
disque qui sort encore aujourd’hui. Leur qualité dépend d’ailleurs souvent de
combien de Buddy Holly s’y trouve.
* le titre est une citation de Don
McLean dans »American Pie », un terme désormais passé dans la culture
courante pour nommer le 3 février 1959 et le crash de l’avion
Eh beh perso La Bamba c'est un film culte de mon enfance! Brian Setzer dans le rôle d'Eddie Cochrane...
RépondreSupprimerCe crash est historique, et doit pourtant se tamponner le pire rapport fait/filmographie. Ne regarde ja-mais "the Buddy Holly Story"
RépondreSupprimerOk! Je regarderai alors le bio-pic sur Claude François avec Jérémy Reignier
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