Le chanteur Matt Caughtran ne
triche pas. Alors que the Bronx retournait la Mainstage du dernier Hellfest en
plein après-midi, le gars a sauté dans le public chauffé à blanc et a calmé
tout le monde parce qu’il était bien plus cinglé que quiconque. Un gars de la
sécurité l’a suivi et lui a demandé deux fois de revenir, mais il a gagné et le
mec sain d’esprit a fait demi-tour en laissant le chanteur au milieu. Un nom de
groupe pas usurpé donc. Il y a même des points de ressemblance dans l’intégrité
avec Black Flag qu’ils interprétaient dans le biopic sur les Germs.
Aussi posé, réfléchi et sûr de son propos dans cette
interview backstage que dur au mal sur scène, Matt Caughtran nous parle du
nouvel album, de la rédemption mariachi et des étiquettes musicales.
> Interview publiée dans ABUS DANGEREUX # 126
> Photos par Nicolas Fontas
Bronx 4, le nouvel
album, sort ces jours ci. Ca sonne comment ? (NdR : ok ça sonne bizarre comme question, mais la news n’était pas
sortie dans la presse avant qu’on ne me l’apprenne juste avant l’interview)
Ca sonne vraiment comme un disque de the Bronx. C’est le
plus abouti de nos disques, dans le bon sens du terme. On a réussi à garder
l’attitude et la ligne punk des vieux albums. Il y a la même agressivité, le
même côté sombre. Il vient après deux disques d’El Bronx Mariachi (NdR : les mêmes membres jouent dans un projet
mariachi totalement indépendant de leur projet principal au niveau créatif)
et cette session studio était la première fois depuis longtemps où nous étions
tous au même endroit, à pouvoir nous concentrer seulement sur la musique. Je
pense que ça sonne comme si on tirait tous dans le même sens, très concentrés
sur ce qu’on voulait faire. Ca me semble être le plus grand contraste avec
l’album précédent.
Bronx 3 a déjà cinq
ans et on s’attend de toute façon à ce que ce soit foncièrement différent.
Il n’a rien à voir non. Pour moi ça sonne uniquement comme
notre prochain album. On a bossé dur. Peu importe qu’il marche ou pas, on est
fiers de ce qu’on a fait. On en avait marre de faire des concessions, de faire
un millier de prises ou une tonne d’arrangements juste parce qu’on
« devait » le faire. Sur celui-là, on s’est surtout concentrés sur le
fait d’écrire de bonnes chansons, les jouer de la façon la plus authentique
possible.
L’an dernier, pas mal
de gens présents étaient d’accord pour dire que vous aviez été un des meilleurs
concerts du Hellfest. Sur le moment même, le terme qui m’était venu
naturellement à l’esprit pour décrire le truc, c’était « punk ». Et
finalement ça fait longtemps que personne n’a plus trouvé que quelque chose
était authentiquement « punk », dans le sens premier. Tu es un peu
déçu que ce mot soit dévoyé et repris par le mainstream ? Il a été coupé
de ses racines et c’est ironiquement devenu un terme marketing.
Non à vrai dire, je m’en tamponne. Je ne me suis jamais posé
ce genre de question. Bien sûr, je me considère comme « punk » si je
devais coller un terme sur l’esprit qui m’habite, mais je n’ai jamais été très
fan des étiquettes. Tu ne peux pas toujours définir une émotion par un terme
précis. Les problèmes apparaissent dès que tu prononces le truc. L’underground
est en constant mouvement. Les gens qui aiment la musique indépendante, et le
punk, doivent continuer à aller dénicher les groupes qui font quelque chose
d’original, qui sont investis. C’est l’esprit. Il y a des wagons de groupes à
la TV qui se disent punk parce qu’ils jouent de la guitare et sautent en l’air.
C’est la minuscule partie apparente de l’iceberg. Tu apprécies la musique et
l’art, alors c’est ton job de creuser et de découvrir le truc qui va te
convenir parfaitement. Tu ne peux pas te plaindre de l’importance du mainstream
si tu ne vois pas qu’il y a tant de choses qui ne le sont pas.
Vous avez ce projet
El Bronx Mariachi qui n’est pas toujours bien compris par votre fanbase
hardcore. Ca vous rend schizophrènes d’aller de l’un à l’autre ?
Ah ah, parfois un peu. L’idée recoupe ce dont on parlait
tout à l’heure. Peu importe à quel point une idée semble dépasser les limites,
il y a toujours une fin, un plafond. Le punk peut donner cette impression
parfois. Quand on a commencé ce groupe au lycée, on ne pensait pas à ce genre
de choses. Mais à l’époque où on a créé El Mariachi Bronx, the Bronx était rôdé
et la vraie question était : « Où on va après ? Qu’est ce qu’on
va pouvoir faire pour garder l’excitation intacte ? » On était dans
un bordel gigantesque. Nous n’avions plus de manager, nous n’avions pas
d’argent, pas de label. Que faire ?
Alors on est rentrés dans cette retenue qui commence à détruire ce que tu
aimes le plus, créer de la musique. C’est un scénario extrêmement
frustrant. On glandait pas mal et on a fait quelques démos mariachi pour passer
le temps. Et après un temps, ça ressemblait de plus en plus à une issue de
secours qui nous permettait de nous évader de cette situation irrespirable. On
s’est dit qu’on allait donner du temps à ce projet car c’était vraiment
excitant. Donc pourquoi mettre tout ça dans un placard ? Tu es sensé
rechercher ce type d’inspiration. Il y a un deuxième effet à ça : cette
digression a laissé The Bronx se reposer et quand on est revenus, c’était comme
si le groupe venait de naître. On était excités de pouvoir brancher les
guitares, jouer fort et dur. Je crois donc que les deux projets sont comme des
vases communicants, ils instillent chacun de la vie à l’autre et lui redonne de
l’énergie. Ca nous permet de garder de la fraîcheur. Avoir deux groupes, ça
nous permet en fait de les garder tous les deux vivants. Il y a eu ce moment où
c’était soit devenir schizophrène comme tu disais, soit tout arrêter.
C’est aussi un moyen
de dire quelque chose de différent ? Car vous tournez avec d’autres
groupes, devant un autre public et dans un autre milieu.
Oui. On n’est d’aucune façon un gros groupe. On dédie
simplement notre temps à ce qu’on fait. Une fois que tu as passé ce cap, tu
veux laisser la plus grande empreinte possible. Tu veux sortir le plus de
disques qu’il te sera possible de sortir. L’idée c’est que si ta vie doit être
dans la musique, alors vas-y à fond. On va la jouer mariachi, voir des lieux
différents, un public différent, jouer avec des groupes différents, regarder
comment ce chanteur s’y prend de son côté... On n’est pas coincés dans un
genre. Peu importe ce qui sortait de ce truc, on était juste excités de créer
quelque chose.
C’était cool d’être
Black Flag dans le film What We Do Is
Secret ?
Ah ah oui c’était incroyable. C’était marrant aussi, surtout
pour moi, parce que je ne ressemble absolument pas à Henry Rollins. Greg, Dez
... ok peu importe, ils sont dans le fond, mais Rollins ah ah. Le film est ok
et ça a surtout été le début de notre amitié avec Pat Smear (NdR : Germs, Nirvana, Foo Fighters). Après ça,
the Bronx a ouvert pour les Foo Fighters et on a toujours une relation solide
aujourd’hui avec lui. C’est un super mec.
Ce n’est pas étrange
pour un groupe radical comme vous de tourner avec les Foo Fighters ou
aujourd’hui les Hives ? Vous êtes plus implantés dans l’underground.
Oui, on doit arrondir les angles, c’est sûr. On a arpenté
les petits clubs underground et on va continuer à le faire car on adore ça.
Mais personne ne veut se limiter, tu veux aussi vivre l’expérience au dessus.
On te propose de tourner dans les stades ? Je suis d’accord pour essayer
tant que l’intégrité artistique de mon groupe n’est pas remise en cause. Les
Foo Fighters ont été vraiment sympas avec nous et surtout, ils nous ont montré
un respect incroyable. Une vraie expérience commune, loin des trips de première
partie habituels. On a aussi refusé des offres de tournées énormes juste parce
que ça ne nous correspondait pas. Toutes nos décisions viennent des tripes. Tu
as envie de le faire ? Ca ne remet pas en cause ce en quoi tu crois ?
Alors monte dans ce bus et fais le à fond.
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