jeudi 26 juin 2014

Dumb rock über alles

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Si on essaie d’imaginer que la musique des groupes correspond à des formes géométriques, Rush et King Crimson sont très certainement des polytétraèdres en 3D. Nous, on va plutôt s’intéresser aux groupes qui voient leur discographie comme une simple ligne droite. 
 Colonne publiée dans Abus Dangereux # 131 



Il y a eu ce truc scandaleux dans le football anglais. Le « Route One Football ». On l’a souvent assimilé à tort au kick-and-rush, qui était bien plus compliqué en réalité. C’est dire. Il a été popularisé par l’équipe la plus rock’n’roll de l’Histoire du sport : le Wimbledon FC, plus connu sous le surnom de « Crazy Gang ». Et ce n’est pas usurpé : tous ces mecs auraient fini en prison s’ils n’avaient pas été footballeurs. Un assistant était d’ailleurs payé uniquement pour aller chercher les joueurs dans les pubs de Londres avant les matchs et s’assurer qu’onze gars soient là au coup d’envoi. Quatre montées en quatre ans, en balançant le ballon directement du goal sur leur tour de contrôle devant. Les neuf autres joueurs taclent, détruisent, courent comme des ânes, ne voient jamais le ballon et s’assurent que le bordel revienne à un de ces deux gars pour recommencer le processus. Bref, des promotions successives, une coupe d’Angleterre mais un style ultra-critiqué. Il rendait fou l’entraîneur légendaire Brian Clough : « si Dieu avait voulu que le football se joue dans les airs, il aurait placé de la pelouse là-haut ». Un truc si nihiliste, punk ou qui s’est attiré le sobriquet mainstream de « rock’n’roll » ne pourrait donc pas marcher ailleurs ? Oh yeah. 

En musique, le « Route One » existe aussi. Une passion identique pour la ligne droite. Et les gens ont le même mépris quand ils en parlent. Les Ramones, AC/DC, Fu Manchu, Motörhead ... les Wimbledon FC du rock. Toute leur carrière, ces groupes ont joué la même chanson, sorti le même album, joué le même concert. Un seul plan, le plan A. S’il échoue, on se regarde sans un mot et on le refait à l’identique, au cas où ça passe par miracle au deuxième coup. Ce qui est peu probable, vu qu’une même cause amène en général une même conséquence. C’est ce qui fait que le grand public regarde ces mecs comme des décérébrés sans trop d’imagination, et que leurs fans les voient comme des monstres d’intégrité underground. C’est ce qui fait aussi que les Ramones n’ont jamais rencontré le succès à grande échelle après 2263 concerts. Chacun de ces groupes est parti d’une logique due à son époque et ne l’a jamais faite évoluer selon le contexte changeant. Où commence l’intégrité die-hard ? Où finit le rétrograde ? Est-ce que ça crée une fanbase avec les mêmes qualités ou est-ce que ça en fait des intégristes qui n’aiment rien de ce qui quitte le confort intellectuel de ligne droite ? Ce n’est pas ce qu’est la « Route One » qui est finalement important. Ces groupes ont leur truc et n’en bougent pas ? Ok, deal. La vraie question est : qu’est-ce qu’ils ne sont pas ? Ils ne sont pas ces groupes qui changent de style à chaque album pour laisser penser qu’ils sont malins et éclectiques, mais qui le font juste par enjeu commercial. Ils ne sont pas ces groupes qui font un flop pompeux en croyant que c’est le moment de sortir un concept-album-opera-prog-rock et ce ne sont pas non plus ces mêmes groupes qui reviennent après en disant qu’ils sont de retour avec un album « sincère, un retour à la base, vraiment, pour les fans ». Ils ne sont pas ces groupes qui bouleversent leurs effectifs en se battant contre les egos. Ils ne sont pas ces gars qui font un truc parce qu’ils peuvent le faire, dans le style de Yngwie Malmsteen qui joue 1000 notes à la seconde comme s’il bossait crash test dummy pour manches de guitares. Ils sont juste ton band-next-door, un groupe ouvrier qui ne croit pas avoir inventé le vaccin contre l’encéphalite.
 

Alors tout est critiquable. Certains préféreront les grosses productions et les rendus techniques. Pas forcément au point de vue philosophique, mais c’est ce qui les fera vibrer (s’il existe des fans de Dream Theater abonnés à Abus Dangereux, vous devez être très malheureux les mecs). Mais le propos de ces groupes de dumb rock ne l’est pas plus. Est-ce que Chaplin est plus stupide que James Cameron juste parce qu’il bénéficiait de moins de moyens techniques ? Mm.  

Au final, c’est probablement la forme la plus aboutie de subversion. Si on reporte ça à la vraie vie pourtant, le fait de sortir toujours le même album correspond à un pavillon de banlieue, un CDI, un crédit pour la voiture et trois enfants aux noms standards. La routine, le prévisible, donc l’ennui. Ok. Et pourtant, de la façon la plus biaisée qui soit, le message est le même, mais en cool : « toi aussi tu peux le faire, kid. Pas besoin de chier du génie. » Ces groupes ont en commun le fait de ne jamais avoir oublié la version d’eux-mêmes teenager qui jouait dans le garage parental. Un genre de mélange de simplicité, spontanéité et de foi inamovible. C’est en ça que c’est ironique la subversion, car il faut souvent attendre la fin pour la voir. Quand les Ramones passent vingt ans à jouer la même chanson, c’est en fait de l’intégrité et de la persévérance. Ils croient en leur recette originale, pas de compromis ou d’adaptation en vue du succès. On les méprise souvent en notant les 3 accords et le côté un peu stupide du package, mais c’est un sacré travail de placer des influences des girls bands 50s, l’identité NY et la culture pop en moins de deux minutes. Fu Manchu fait encore ses démos sur un vieil enregistreur 4-pistes. Le batteur Scott Reeder expliquait en 2010 : « si ça ne sonne pas bien sous cette forme, ça ne va pas sonner parce que tu vas mettre plus de … Ce que je veux dire, c’est qu’on fait peu d’arrangements après coup, on ajoute peu de cuivres et d’artifices. Si ça fonctionne en lo-fi, ça veut dire que ce sera bien meilleur en hi-fi. Si ça sonne moins bien, c’est que tu as probablement un gros problème ». Motörhead a écrit Ace of Spades en dix minutes, paroles comprises. Nirvana a tué les années 80 maximalistes sous trois accords cramés à la fuzz et une voix éraillée qui s’est tenue très loin des cours de chant. Antoine de Saint-Exupéry résume bien ce réflexe de l’épure : « dans quelque domaine que ce soit, la perfection est enfin atteinte non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter mais lorsqu'il n'y a plus rien à enlever ». Ca fonctionne autant en football qu’en musique.


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