mercredi 2 juillet 2014

OFF!


En 2010, Keith Morris a repris avec OFF ! le flambeau qu’il avait laissé à disposition en 1979 quand il a quitté Black Flag, ou plus tard quand les Circle Jerks sont partis dans le fossé. Avec lui au micro qui hurle comme s’il n’avait pas vieilli depuis avoir enregistré Nervous Breakdown, et Raymond Pettibon qui s’occupe des pochettes, on se croirait revenus dans le Los Angeles de 1980. OFF ! sonne comme les pionniers, et a certainement aujourd’hui plus de légitimité à ce niveau que les deux versions poussives de Black Flag qui tournent depuis l’an dernier. Troisième disque pour ces architectes de la chanson flash, Wasted Years. Comment peut-on gâcher des années quand on économise autant le minuteur, d’ailleurs ? Rencontre avec Dimitri Coats (guitare).
 Interview publiée dans New Noise # 21

Vous êtes un exemple plutôt unique de groupe, avec un chanteur qui va vers la soixantaine mais qui a un public jeune, qui vient du punk comme du skate.
Je crois que c’est la musique qu’on crée qui est pleine de spontanéité, tout simplement. On est allés vers quelque chose qui ramène Keith à ses origines punk, quand tout le truc a pris la virage hardcore. Ce n’est pas vraiment une musique que les gens qui sont maintenant dans la cinquantaine continuent à écouter. Et c’est pourtant l’âge qu’ont tous les pionniers de la scène originale des 80s. Ca a clairement quelque chose à voir aussi avec le fait qu’on soit signés chez Vice Records. Beaucoup des kids qui suivent le label n’ont pas eu la chance de voir le vrai Black Flag ou les Circle Jerks, tous ces groupes quand ils étaient au top, et ont peut-être l’impression qu’on est ce qui s’en rapproche le plus.
OFF ! est dans une attitude qui se rapproche des valeurs de départ du hardcore, dans un mouvement où l’esprit est dit perdu génération après génération. C’est le but avoué ?
On n’essaie pas de faire quelque chose de trop calculé. Je préfère penser que c’est arrivé par accident. Je n’ai pas vraiment grandi dans cette culture, je n’ai jamais trainé dans la scène hardcore. Je viens plus de Black Sabbath. Quand j’ai commencé à écrire avec Keith, j’ai du modifier mon jeu, apprendre à ne jouer qu’en descendant et ça a modifié ma vision globale des choses. Mais c’est plus facile qu’il n’y paraît, parce qu’on avait en commun une grande partie de notre collection de disques. Keith est d’une autre génération et il vient d’un autre milieu, mais il a les disques de Creedence Clearwater Revival, T-Rex ou les Beatles. Plein de classic rock. Keith m’a juste poussé à me contraindre à un jeu plutôt direct et un format de chanson réduit. C’est littéralement à ce moment que OFF ! est né. C’était un accident, quand je les aidais à enregistrer pour Circle Jerks, mais ça n’a rien donné. Je crois que c’est parce que c’est une approche un peu naïve de ma part que ça sonne si authentique. Ca a du inspirer Keith car on nous dit souvent qu’il n’avait pas chanté comme ça depuis plus de vingt ans. 


Pas mal de critiques vous ont estampillé « supergroupe » au départ, mais vous êtes plutôt d’éternels outsiders, non ?
Je suis totalement d’accord avec toi. On a toujours été des outsiders chacun de notre côté. Quand on a monté OFF !, Keith et moi étions fauchés. Steven (NdR : Shane McDonald, ancien bassiste de Redd Kross) était contraint de basculer vers le côté rentable de ce métier parce qu’il ne jouait plus, Mario (NdR : Rubalcaba, ancien batteur de Hot Snakes et Rocket From The Crypt) bossait dans un entrepôt de skate, avec des horaires de bureau classiques. En théorie, je ne suis pas sûr que ça aurait choqué quelqu’un dans le monde si on avait décidé de ne pas faire ce groupe. Le succès du projet a selon moi davantage à voir avec le fait qu’on sorte de bons albums, qu’on écrive de bonnes chansons et qu’on soit un groupe de scène qui donne tout. Les gens ont trop recours à ce genre de terme ces jours-ci. Ca ne veut pas dire grand chose. J’imagine que Blind Faith en était un, mais dès que des bons musiciens se mettent ensemble, on parle de « supergroupe ». Je ne sais pas, c’est juste un groupe non ? En plus, je ne viens pas du punk comme je te l’ai dit, alors quand je lis qu’on est un supergroupe punk, je peux encore moins comprendre.
Dans Burning Brides, tu ne jouais en effet pas ce style de musique. Alors tu es probablement le meilleur juge : c’est une idée préconçue de dire que c’est plus difficile d’écrire un morceau court et catchy, comme tu dois le faire dans OFF! ?
Pour moi, OFF ! n’est pas si différent de Burning Brides. On joue juste plus vite. On est arrivés à ce son, et à une manière de jouer qui par chance évoque quelque chose qui a compté dans le passé, mais qui n’est plus très courant aujourd’hui. Keith était fan de Burning Brides et il pensait que j’étais un fan de Black Flag, mais quand je l’ai rencontré, je n’avais aucune idée de qui il était. Vraiment. On est simplement devenus amis et je crois que c’est la base de ce groupe. On aurait très bien pu se rencontrer au lycée, sécher pour fumer de l’herbe et écouter des disques. On aurait pu monter un groupe dans le garage de nos parents. C’est le même esprit, sauf qu’on s’est rencontrés alors qu’on avait déjà pas mal avancé dans nos vies respectives.
Mais au niveau de la composition juste, il y a une grosse différence ? Il y a des riffs old-school, des mélodies efficaces, ce n’est pas juste simple et court.
C’est vraiment la même chose. J’ai toujours été un énorme fan des Beatles, je crois que chaque chanson doit s’appuyer sur une bonne structure. Un couplet efficace, un pont parfois, ou alors tête baissée dans le refrain, retour au couplet ou alors un solo qui dévaste ... il n’y a pas de recette pré-établie, mais j’aime les chansons. Je m’en fous si c’est du Bathory ou du Elliott Smith. Je ne suis pas partisan. Je peux aussi bien dire que Slayer a quelques morceaux vraiment accrocheurs mais j’ai aussi toujours aimé les groupes qui ont cassé les codes. Neil Young est un bon exemple. Il peut écrire un morceau qui marche seul à la guitare, au piano ou debout devant des racks gigantesques de Marshall. Pour OFF !, la but est très clair. Je me sens limité. C’est comme si avant, j’étais un peintre. J’avais à ma disposition une grande toile, pleins de pinceaux, de la peinture à ne plus savoir quoi en faire. Quelqu’un serait venu me confisquer tout ça et m’aurait dit : « voilà une feuille de papier et un marqueur. Voyons ce que tu peux faire. Tu as cinq minutes. » C’est le sentiment que j’ai eu au début, quand je suis passé des Burning Brides à OFF! .
Alors la recette paraît simple, c’est juste un plan où on se branche, on joue et on y met toute l’intensité qu’on a dans les tripes.
(rires) Plutôt simple, hein. Pour ce disque, on a enregistré 19 chansons en deux jours. Tous les instruments dans la même pièce. Début du morceau, fin du morceau. Suivante. Pas d’artifice. On a enregistré sur bande avec un 8-pistes. J’ai produit ce disque mais je ne me suis pas vraiment mis dans la peau d’un technicien. Je préférais gérer ça comme un réalisateur de film. On voulait que pour la première fois, la pochette soit à dominante noire. On savait avec Keith qu’on allait dans une direction plus sombre que ce qu’on a pu faire avant. Je voulais accentuer le côté démo de l’enregistrement, avoir un rendu vraiment épuré. On voulait un disque heavy et brutal. Ca a influé sur l’écriture des morceaux. Parfois tu as besoin d’avoir ce genre de vision pour stimuler ta créativité. D’ailleurs je sais déjà l’esprit du prochain disque, mais on ne va pas en parler maintenant.



Death Trip on a Party Train. Est-ce que ce titre est le meilleur résumé du style de OFF! ?
Oh non, mais c’est le meilleur résumé de ma propre vie. Et de pas mal de gens proches du groupe. Keith est sobre depuis trente ans. Moi j’ai des hauts et des bas. Ca peut partir dans des extrêmes qui font peur au reste du groupe. Keith est passé par là, il sait de quoi il s’agit. On a appelé cet album Wasted Years et pour chacun de nous, ça a un sens différent. On peut penser à ces morceaux comme des trucs écrits pendant une période de fête plutôt sombre, et enregistrés quand je suis passé de l’autre côté de la barrière.
Dans la nouvelle vidéo, Hypnotized, il y a un combat très cool de super-héros qui met en scène David Yow (NdR : Jesus Lizard) et Jack Grisham (NdR : TSOL). Vous avez toujours mis beaucoup de soin dans vos vidéos et ça peut sonner plutôt ironique pour des chansons si courtes.
Oui et ça ne nous laisse pas beaucoup de temps pour développer un concept, à cause justement du temps réduit. Alors on triche pour développer une structure narrative avant et après la chanson. C’est important pour nous, et c’est aussi crucial pour promouvoir le groupe car on s’aperçoit que beaucoup de gens nous ont découvert par ce biais là. Hypnotized, c’est la chanson la plus longue qu’on ait jamais enregistré. Elle dépasse les deux minutes.

 
Vous êtes signés chez Vice Records, vous apparaissez dans la bande-son du jeu vidéo GTA 5 , vous avez tourné avec les Red Hot Chili Peppers. Malgré le fait que vous soyez très authentique, les fans trouvent toujours des raisons de vous accuser bruyamment d’être vendus.
Les gens ont toujours ce réflexe marrant. Cet album sonne trop produit, cette chanson est trop longue, cette vidéo est commerciale, vous avez signé chez Vice, le prix des tickets est suspect, vous avez ouvert pour les Red Hot Chili Peppers. Le public punk est compliqué, il y a toujours un truc sur lequel se plaindre. On est accusés d’être des vendus toute la journée. Pour ne prendre que cet exemple, les gens ne réalisent pas que Flea était dans les Circle Jerks, avec Chuck Biscuits à la batterie. Les gens passent sur ce genre d’histoires, on est arrivés sur la scène en même temps, il y a des connexions réelles.
First Four EPs m’avait rendu dingue. Tu déposais le diamant sur le vinyle, tu revenais t’assoir et la face était déjà terminée. Tu reviens, la même chose se reproduit. Tout le truc était vraiment un genre de pub pour le téléchargement mp3, en fait ?
(rires) on voulait vraiment sortir un collector qu’on trouvait cool, pour mettre en avant les dessins de Raymond Pettibon aussi. Le but était aussi de créer une fausse mythologie pour OFF ! en faisant semblant d’avoir eu tous ces singles au fil des années et de les sortir en compilation. Mais rien de tout ça n’était vrai, c’était totalement un disque à part entière. Je prends tous les morceaux pour des singles, la philosophie n’a pas changé jusqu’à Wasted Years. On ne jette rien. On préfère sortir tous nos morceaux, et en écrire d’autres pour sortir le prochain rapidement. On part sur une base de 16 titres par disque. Il nous faut un bonus track pour un 45 tours ? Ok alors écrivons en 17. 

Comment vous fonctionnez avec Raymond Pettibon ? Il est libre de faire ce qu’il veut pour les pochettes ?
Dès qu’on a monté le projet avec Keith, il est apparu évident qu’on faisait référence à cette période de la fin des 70s, début des 80s à laquelle il appartenait. On a donc pensé faire appel à Raymond pour que la référence soit complète. On ne s’en est pas cachés, c’est d’ailleurs pour ça qu’on a appelé le premier disque First Four EPs (NdR : qui rappelle le First Four Years de Black Flag). On voulait que les gens sachent de quoi on allait parler avant même d’avoir écouté la musique. Et même sans le clin d’oeil, le travail de Raymond est remarquable. Ses visuels et les textes qu’il y incorpore font vraiment écho au cynisme sombre de nos morceaux.
La pochette de Wasted Years ressemble énormément à celle de Catatonic Youth pour « I’ve had it ». C’est fait exprès ?
Ce n’est en fait pas le même visuel. C’était une artiste de Chicago (ndR : Anne Mathern) qui a voulu rendre hommage à Raymond en imitant son style. On n’était pas au courant avant de faire la promo de notre disque, très honnêtement. Que les copieurs aillent se faire foutre. Ce sera ma seule émotion si on doit parler de cette ressemblance.
Tu es manager, tu as fait le logo, tu composes les morceaux, tu produis les disques, tu réponds aux interviews. C’est un fonctionnement très old-school et DIY.
On a tous été dans d’autres groupes, on a tous appris de nos erreurs et il y avait dès le départ ce sentiment partagé qu’on pouvait bien mieux s’occuper de tout nous mêmes. Et c’est le genre de musique qui est adapté à cette mentalité.
Et c’est paradoxal, parce que tu es le seul qui n’a jamais fait partie de la scène punk avant.
J’ai eu l’occasion de rencontrer les bons mecs sur la route. Keith, Ian MacKaye, Jack Grisham, Jello Biafra. Et je crois qu’ils respectent ma spontanéité du coup, parce que je ne suis pas en extase devant le passé punk, je ne porte pas l’héritage sur mes épaules non plus. Je me sens comme un outsider dans un monde d’outsiders, et j’ai été accepté par ce milieu dans des proportions que je n’aurais jamais pu espérer.
Tu es devenu un « punk by proxy ».
(rires) parfaitement. Mais ce n’est que du rock, c’est simplement une approche différente. Tout le monde peut contribuer à l’esprit punk sans avoir à passer par des codes établis. Tu conduis une voiture de sport toute ta vie et un jour, quelqu’un te demande de rouler plutôt à moto. Tu vas quand même du point A au point B. Tu fais juste le trajet d’une manière différente.

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