lundi 30 janvier 2012

MOTÖRHEAD: Born to raise Hell


Culte itinérant de la cartouchière, de la volée de phalanges et du whisky tiède. Si l’underground avait décidé de monter un groupe avec l’intégrité, ça aurait été Motörhead au kyste près. 

Article paru dans ABUS DANGEREUX # 121 /// Décembre 2011
Photos live par Louise Dehaye


Si on m’avait dit un jour, sur le papier, que j’allais aduler le meilleur groupe gallois de l’histoire, avec un batteur suédois, un chanteur qui couvre au max le quart d’un octave et qui collectionne des reliques de la seconde guerre mondiale, et dont les 2/3 du groupe original ont été remplacés depuis longtemps ... well. Je veux dire merde mec, ça trahit quasiment tous les critères de sélection non ? Etre hors critères pour un groupe hors norme, par contre, c’est convenable.

Motörhead, c’est Motörhead. Ce qui est bluffant chez ce groupe, c’est cette persévérance qui emprunte à l’entêtement. Un de ces groupes monomaniaques, qui répète à l’envi le même album, qui ne perd jamais le cap. Les fans participent au processus, entre soutien indéfectible et garde-fou incorruptible. Si un album venait à changer de direction, les réactions seraient aussitôt épidermiques. Le groupe bénéficie d’une respectabilité dans tous les milieux : punk, métal, pop. A noter aussi qu’aucun groupe de cette génération n’a une production récente de cette qualité, aussi consistante et raccord avec ses albums historiques.

27 ans que Phil Campbell a remplacé Fast Eddie Clarke. Et des wagons de gars ne le remettraient pas s’ils le croisaient. Undercover hero. Pendant les minutes passées ensemble, le mec va tellement mal que j’ai en fait l’impression, au pire, de faire une interview post-mortem, au mieux d’être George Romero. Le soir, il arpente la scène comme si on était en 1984 et qu’il venait d’arriver dans le groupe. Intensité et enjeu comme si c’était le premier jour, c’est sûrement le secret de l’unicité de Motörhead. Et la preuve, s’il en fallait, que ce groupe est inoxydable.




Le live vient de sortir et pose une bonne question en creux : quel est l’endroit le plus bruyant sur Terre ?
Juste devant mon rack d’amplis. Non sans rire, c’est bruyant tous les soirs. C’est encore plus impressionnant dans une salle que dans les festivals en plein air. Les gens sont vraiment très bruyants parfois, crois moi. 

Le fidèle Cameron Webb s’occupe du son, mais parle moi du choix de Sam Dunn (Headbanger’s Journey, Flight 666) pour l’image.
On nous avait recommandé ce gars et on n’a pas été déçus. La manière dont il s’est investi, sa compréhension de tout le truc, un sacré mec. Le DVD est un mélange de plusieurs dates. On a sélectionné les meilleurs trucs qu’on a enregistrés sur la tournée. T’as des bouts de concerts au Chili, à New York … des publics vraiment différents. 



D’Inferno (2004) à the Wörld is Yoürs sorti l’an dernier, vous restez sur une série de très bons albums. Vous n’en avez pas marre que tout le monde soit resté coincé sur Ace of Spades ?
Pfff ouais. Mais qu’est ce que tu veux qu’on y fasse? L’autre jour, dans un magasin de disques, il y avait ce mec avec les vieux albums sous le bras et il arrive genre … 

Genre “Hey Fast Eddie, t’as vieilli, mec” !
Presque. Il me dit « tu es le guitariste de Motörhead ? ». Je réponds « euh ouais ». Il me serre la main « oh mec, comment ça va ? » Comment je vais ? Pas très bien putain, tu veux que je signe des vieux albums sur lesquels je ne joue même pas, des bootlegs aussi. J’ai signé ses trucs et je me suis barré. Motörhead ne se limite pas à Ace of Spades.

C’est pas difficile justement de jouer Overkill et Ace of Spades à chaque concert et d’avoir l’air impliqué soir après soir ?
Non parce qu’on sait qu’on arrive à la fin, ah ah. C’est toujours agréable de jouer, on ne s’en lasse absolument pas. C’est le cas pour quelques autres groupes, j’imagine. Je ne parle donc que pour nous trois. On est plutôt fatigués, je ne te cache rien, mais on se rapproche du bout.

Tu parles pas mal de la fin. C’est quelque chose que vous avez planifié ?
Non, on ne se dit pas « allez, un album et c’est fini ». On maintient le cap sans se poser de questions, c’est ce qu’on a toujours fait. Mais je suis vraiment pas bien là, je sors juste de l’hôpital, ça doit jouer sur mon discours. Je vais la jouer cool un moment.


 
Un truc particulier, c’est que Motörhead ne semble jamais démodé, notamment quand un nouveau disque sort. Je veux dire, l’actu de Deep Purple ou Judas Priest est accueillie avec une bonne dose d’indifférence en 2011, alors que vous faites encore partie du jeu.
Je ne sais vraiment pas pourquoi. On n’a pas à l’esprit ce qu’attendent les fans, ce qu’ils voudraient qu’on fasse. On écrit pour nous trois, avant tout. Même la maison de disques n’essaie pas de nous dire ce qu’on doit faire. Ils ont bien trop peur. J’imagine que si on pense que c’est bon, d’autres le penseront aussi, non ? On essaie juste de conserver un côté frais à notre musique – à la fois dans l’esprit et dans le son - et je pense que les gens savent apprécier ça. La moindre des choses, c’est de faire de notre mieux et ça semble fonctionner. Même si c’est parfois difficile hein. C’est pareil sur scène. On n’essaie pas de jouer un greatest hits perpétuel. On est encore en vie, pas dans un musée. 

Est-ce que c’est du à la méthode que vous semblez partager avec les Ramones : ne jamais dévier de la ligne droite ?
C’est difficile à expliquer concrètement, mais on sait comment on veut que le groupe sonne. Même quand on passe à l’acoustique comme pour cette pub Kronenbourg, c’est toujours très Motörhead. Quoiqu’on fasse, au fond. On essaie simplement de rester honnêtes et de produire les meilleures chansons qu’on est en mesure de créer. On vous laisse le boulot d’en parler, de vous pencher dessus et d’y réfléchir. Ce n’est pas notre truc.

Le jeu Amiga de 1992


 
Motörhead vient d’une époque où l’Angleterre générait les plus grands groupes du monde. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pourquoi à ton avis ?
Hey, c’est ton avis ça, mec. Je pense que chaque pays a son tour à prendre. L’Angleterre a de très bons groupes en ce moment. Il y a des trucs vraiment terribles aux Etats-Unis, au Brésil … Tu sais, même quand j’ai commencé, t’avais soit les bons groupes soit la daube, et je me tenais quelque part au milieu. Je pense vraiment que ce n’est pas important au final d’où vient un groupe.

Tu ne penses pas que le vent, les mines de charbon, l’industrie lourde ont été une influence directe du son de groupes comme Motörhead, Judas Priest ou Black Sabbath ?
Pour Priest et Sabbath qui viennent des Midlands, c’était l’enfer, c’est sûr. Les sidérurgies, le temps dégueulasse, il n’y avait vraiment rien à faire là-bas. Ce n’était pas glamour ni flashy donc j’imagine que des gens comme Ozzy ont un jour décidé « hey et si on avait un peu de fun ». Mais je suis sûr que ouais, il y avait ce côté « merde mec, je ne descendrai pas dans les mines comme toute la famille avant moi ». Tu sais que Tony Iommi s’est coupé les doigts pour son dernier jour de travail à l’époque ? Vraiment pas de chance. Mais moi, je viens du Pays de Galles. La mer, tout ça. Il y avait bien des groupes comme Budgie mais bon.


Avec les années, Motörhead est considéré comme « métal », mais votre façon de faire tient beaucoup de vos racines punks.
Bah les étiquettes. On préfère juste penser qu’on fait du Motörhead, vraiment, même si ça sonne complètement stupide. C’est un genre de crossover. Ce n’est pas du métal. C’est juste du rock’n’roll joué fort par un beau tas d’enfoirés. 

Dans les festivals, vous partagez l’affiche avec des groupes de styles plus marqués: black metal, death metal … Ca vous intéresse ces groupes ou vous faites juste le job et vous partez ?
On n’est pas trop dans le black metal et tous ces trucs non. Parfois tu peux être surpris, mais la plupart du temps, c’est vraiment : « oh mec, sans rire ». Les festivals sont l’occasion de créer des mélanges surprenants. Quand on a fait Rock in Rio, on a joué après Elton John, Rihanna et Katy Perry.

 
 
Joe Petagno a eu un rôle énorme au niveau de l’image de Motörhead. Il est lié à quasiment toutes les pochettes du groupe.
Il n’a pas fait les dernières. (NdR : Joe Petagno a cessé la collaboration en 2007, après une brouille juridique incitée par son avocat. Les albums Motörizer et the Wörld is Yoürs, sortis après cette date, reprennent le logo de façon détourné)

Mais son dessin est encore repris indirectement sur Motörizer et the Wörld is yoürs.
C’est un super logo. Je ne pense pas que Joe ait quelque chose à voir avec le truc à la base. C’est un truc bien connu. Mais ça a procuré au groupe une très bonne identification. Qui sait combien de temps on aurait duré avec une image différente ? C’est une putain de bonne question.

C’est la même chose pour Iron Maiden, ouais. Toi Phil, tu sembles être victime du syndrome Ron Wood (« nouveau » guitariste des Rolling Stones depuis 1975). T’es dans le groupe depuis 1984 et tu es toujours considéré comme le « nouveau gars ». Tu es frustré de ne pas avoir plus d’exposition, alors que tu es le deuxième membre de Motörhead à avoir passé autant de temps dans le groupe ?
J’ai laissé tomber. Je m’en fous maintenant. Les gens continuent à me demander : « pourquoi Eddie Clarke a quitté le groupe ? » Mec, il a fait partie du groupe pendant sept ans. Ca doit être écrit dans un putain de magazine de l’époque, je sais pas moi. J’ai abandonné ce terrain là, je suis heureux comme ça. Ca fait vingt-sept ans et des gens sont encore préoccupés par Eddie Clarke. Il faut passer à autre chose, les gars. 


 
Tu te souviens de la première chanson que tu as enregistrée avec le groupe ? Je pense que c’était ‘Killed by Death’.
C’était une session avec quatre chansons, ouais: Killed by Death, Steal your Face, Snaggletooth et une autre que je ne retrouve pas (NdR : Locomotive). Ca remonte. J’avais déjà fréquenté des studios puisque je joue depuis que je suis gamin, mais je n’étais pas préparé à quelqu’un qui joue aussi fort que Lemmy. Ca a été un vrai choc pour moi.

T’as rejoint le groupe au même moment que Würzel. Il vient de nous quitter. 
C’était un gars super. Parti un peu trop vite. Il n’était pas bien depuis des années. Mais c’était un mec si drôle. Un jour, je l’appelle et un inconnu me dit qu’il est mort. Trois jours plus tard, il m’appelle comme si de rien n’était : « Oh pardon Philip, je me suis évanoui dans la rue. Un chinois m’a amené à l’hôpital.» Je n’oublierai jamais ce truc. C’était toujours comme ça avec Wurzel. Ah le pauvre enfoiré. 



Mikkey et toi, vous avez pas mal de liberté au niveau de la créativité. Beaucoup de chansons viennent de jams entre vous. 
On écrit généralement le canevas à deux mais c’est vraiment un effort à trois. Lem peut avoir une idée pour la base d’une chanson. On lui propose nos idées et il fait « c’est plutôt cool » ou « j’aime pas ce passage » et on change en fonction. Lemmy écrit les paroles. On ne le fait pas chier, c’est son terrain privilégié. Le meilleur des paroles tient lieu de titre. Chanson suivante. Il n’y a pas vraiment de règle écrite. Parfois t’as un truc qui te vient quand t’es seul chez toi mais la plupart du temps, nos meilleures idées sont apparues pendant les soundchecks avant les concerts. Un jour, le technicien son te dit « balance la guitare » et tu n’as pas envie de jouer un morceau du set alors tu joues quelque chose au hasard, et il te vient le meilleur riff que tu aies joué depuis des lustres. C’est un peu comme quand t’es bourré, t’as l’impression d’avoir trouvé l’idée de ta vie mais t’as plutôt intérêt à la jouer direct, sinon tu l‘oublies.

Ce n’est pas étrange de composer un riff avec un sentiment particulier et de voir revenir Lemmy avec un titre comme – disons – « I know how to die » ? T’es parfois surpris par le titre définitif des chansons ?
Je vais pas te cacher que des fois, c’est plutôt bizarre ouais, mais il y a longtemps que je ne m’en fais plus pour ça. Il y a des sujets plus importants sur lesquels on peut s’engueuler.


 
Comme dans le documentaire sur Lemmy dernièrement, Mikkey et toi êtes parfois ignorés par les médias mainstream dans l’identité Motörhead.
Ouais, les gars du documentaire ont du filmer leur truc quand on était aux chiottes, partis draguer ou au cinéma … je sais pas.

On revient à ce côté « oh tu sais ces mecs avec Lemmy » ?
Bah, le film était au sujet de Lem. Donc c’est logique. Mais les producteurs nous ont suivi partout pendant trois ans, sur la route et dans nos vies respectives. Ils auraient quand même pu se permettre de nous mettre un peu plus à l’écran. J’étais un peu déçu, à vrai dire. Mais c’est ok, ça appartient au passé et tu ne peux pas changer le passé, hein.

Quelle serait la meilleure (et courte) definition pour Motörhead ?
« The world is yours, but if you step in my dressroom, I will fucking kick your ass » (NdR: le monde est à tes pieds, mais si tu me déranges backstage, je te botterai le cul)

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